Encore récemment au Canada des hôpitaux effectuaient la ligature des trompes de femmes autochtones sans leur consentement libre et éclairé. Cette pratique est considérée comme de la torture par le Comité contre la torture des Nations unies.

Pointée du doigt par les médias en 2015, la Saskatchewan commande une étude externe pour évaluer l’ampleur du problème de consentement à la ligature des trompes des femmes autochtones. En juillet 2017, l’étude de Dre Yvonne Boyer et Dre Judith Bartlett est publiée [1]. On y apprend que, dans les années 30, des femmes autochtones sont stérilisées au Canada selon des politiques d’eugénisme qui seront abrogées dans les années 70. L’étude externe rapporte, plus précisément, le témoignage de sept femmes autochtones de la Saskatchewan ayant récemment vécu cette situation grave (l’étude ne donne pas de dates pour préserver l’anonymat des participantes). Elles révèlent que cela a été vécu comme de la pression suite à du profilage ethnique, comme un abus de pouvoir et comme si leur refus n’avait pas été entendu (le formulaire de consentement est souvent signé durant l’accouchement, sous l’effet de la morphine, avec une insistance et des arguments visant à faire craindre le pire, les femmes ne sont pas informées que cela est irréversible). Cela a eu un impact sur leur vie personnelle : certaines en ont fait une dépression, la plupart vit toujours de l’anxiété et l’une d’elles présente des symptômes de choc post-traumatique reliés à l’odeur de chair brulée [2] que cette opération suscite lorsque les tissus sont cautérisés. Suite à cette enquête, l’Autorité régionale de santé de Saskatoon s’est excusée auprès des femmes autochtones qui ont été stérilisées contre leur gré [3] et a entrepris des mesures visant à ce que cela ne se reproduise plus en améliorant le protocole de consentement et en formant le personnel soignant à la réalité culturelle des peuples autochtones. Cependant, les victimes n’ont pas été indemnisées, pas plus qu’on a sanctionné les responsables de ces gestes commis dans un passé quand même récent.

En octobre 2017, un recours collectif qui, jusqu’à aujourd’hui, rassemble près de 60 femmes affirmant avoir vécu cette situation en Saskatchewan dans les 20 dernière années était déposé par l’avocate Alisa Lombard [4]. Depuis, des femmes du Manitoba, de l’Alberta et de l’Ontario ont aussi révélé avoir subi ce genre d’opération sans leur consentement libre et éclairé [5]. Le problème s’étend donc largement au pays et il dénote un racisme endémique national de la part des services de santé des provinces et territoires appelant une enquête nationale. Des ONG vont jusqu’à parler de génocide : « Stériliser les femmes sans leur consentement entier, libre et éclairé est une forme de violence et de torture. Les mesures visant à prévenir les naissances au sein de groupes ethniques ou raciaux sont interdites de manière explicite par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide » [6].

En novembre 2018, le Canada comparaissait devant le Comité contre la torture et un de ses experts, M. Touzé, a rappelé « que le Comité contre la torture a maintes fois considéré que la stérilisation forcée était une forme de torture ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de la Convention [contre la torture] » [7]. Le Canada, lors de l’Examen périodique universel par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies au printemps 2018, « a accepté la recommandation qui lui avait été adressée par l’Argentine […], tendant à ce qu’il prenne les mesures voulues pour enquêter sur les plaintes pour stérilisation forcée de femmes autochtones, sanctionner les auteurs et protéger les victimes » [8]. Inquiet de l’inertie du Canada, l’expert a demandé « ce qui a été fait à ce jour pour appliquer cette recommandation » [9]. Pour sa part, la délégation canadienne a répondu que « les autorités sanitaires de la Saskatchewan ont pris des mesures pour répondre aux préoccupations suscitées par les procédures de ligature des trompes, en collaboration avec les organisations des Premières Nations, les prestataires de soins et les partenaires des milieux de la santé [suite à] l’examen externe indépendant » [10] et qu’elles « réfléchissent aux améliorations qui pourraient encore être apportées aux procédures existantes, notamment pour ce qui est de l’obtention du consentement » [11]. La délégation canadienne n’a pas soufflé un mot sur une possible enquête, le potentiel de sanction du système canadien ou l’intention de dédommager et protéger les victimes.

La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ratifiée en 1987 par le Canada est pourtant claire. L’État partie doit bien sûr prévenir la torture en prenant des mesures pour l’empêcher (art. 2), mais aussi, il veille à procéder à une enquête lorsque la torture se produit (art. 12), à rendre l’infraction de torture passible d’une peine appropriée (art. 4) et à ce que les victimes obtiennent réparation en étant indemnisées et en fournissant les moyens de leur réadaptation (art. 14).

Bien que la Saskatchewan prenne actuellement des mesures pour améliorer le processus de consentement à la ligature des trompes, il demeure que les femmes qui ont subi ce mauvais traitement dans le passé ont vu leurs droits violés. Dans le but de lui demander de respecter ses engagements nationaux et internationaux, vous pouvez écrire au gouvernement du Canada parce qu’il doit cesser d’invoquer le fédéralisme canadien lorsque les droits humains sont violés par une instance de compétence provinciale. Demandez-lui qu’il enquête afin de pouvoir déterminer les manquements graves des équipes médicales partout au pays concernant la stérilisation forcée, qu’il entame des procédures judiciaires contre les auteurs de cette pratique de la torture qui viole le principe de l’habeas corpus de même que l’article 12 de la Charte canadienne et qui est prohibée par l’article 269.1 du Code criminel, d’autant plus que cela relève de sa compétence exclusive, et qu’il assure une réparation pour toute victime avérée, incluant du soutien psychologique et une compensation financière.

Appel à l’action préparé par Nancy Labonté, coordonnatrice


Vous pouvez agir

Lettre d’action en format .pdf : Lettre pour le Canada pdf 2019-02
Lettre d’action en format modifiable .docx : Lettre pour le Canada docx 2019-02


Sources

Action Canada pour la santé et les droits sexuels, Amnistie internationale Canada, Association des femmes autochtones du Canada. 2018-12-10. Appel à l’action contre la stérilisation forcée de femmes autochtones. www.actioncanadashr.org/wp-content/uploads/2018/12/Declaration-st%C3%A9rilisation-des-femmes-autochtones-sans-leur-consentement-FR.pdf [6]

Boyer, Yvonne; Bartlett, Judith. 2017-07-22. External Review: Tubal Ligation in the Saskatoon Health Region: The Lived Experience of Aboriginal Women. www.saskatoonhealthregion.ca/DocumentsInternal/Tubal_Ligation_intheSaskatoonHealthRegion_the_Lived_Experience_of_Aboriginal_Women_BoyerandBartlett_July_22_2017.pdf [1] [2]

Comité contre la torture. Nations unies. 2018-11-29. Soixante-cinquième session. Compte rendu analytique de la 1695e séance. Tenue au Palais Wilson, à Genève, le 21 novembre 2018. docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2fPPRiCAqhKb7yhsmoIqL9rS46HZROnmdQS5bNMkt5zg0KDnycLDSGU1lEzhM0HkIA3kbRibgCn1Mj%2b9taN2NyGA9IEhswg6ROJz3zCN0SK%2fo4oa3vcHd0Qzope [7] [8] [9]

Comité contre la torture. Nations unies. 2018-12-14. Soixante-cinquième session. Compte rendu analytique de la 1698e séance. Tenue au Palais Wilson, à Genève, le 22 novembre 2018. docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2fPPRiCAqhKb7yhsmoIqL9rS46HZROnmdQS5bO2%2fi4Hs3jUi8U9YMm9Mk5MgqB6ISinoMjP7XnSMVe%2fhw7mEkZAphEaB8jdxxZYrEyEsiYatVMghHdFRO8JLgtu [10] [11]

Kirkup, Kristy. 2018-11-11. Appel à l’action contre la stérilisation forcée de femmes autochtones. La Presse. www.lapresse.ca/actualites/national/201811/11/01-5203787-appel-a-laction-contre-la-sterilisation-forcee-de-femmes-autochtones.php [5] Lebel, Anouk. 2017-07-27. L’Autorité régionale de santé de Saskatoon s’excuse auprès de femmes autochtones stérilisées contre leur gré. Ici Saskatchewan. ici.radio-canada.ca/nouvelle/1047469/rapport-sterilisation-forcee-femmes-autochtones-saskatoon [3]

Maurice Law. S.d. Forced Sterilization Class Action. www.mauricelaw.com/forced-sterilization-class-action [4]