La situation de l’établissement de détention Leclerc est alarmante depuis le transfert des femmes récemment. Notre organisme a uni sa voix à celles d’autres organismes avec une lettre envoyée au ministre de la Sécurité publique afin de lui rappeler les obligations internationales en matière d’incarcération. De plus, l’ACAT Canada souhaite affirmer sa consternation aux côtés de nombreuses ONG québécoises qui nous appellent à l’action pour faire pression pour une mission d’observation au sujet des conditions de vie des personnes incarcérées dans un établissement provincial de détention au Québec. Vous pouvez agir : http://www.ffq.qc.ca/2016/06/appuyer-la-mission-dobservation-sur-les-conditions-de/

Le contexte

Les divers articles parus dans les quotidiens depuis le mois dernier relatant l’état des conditions de détention des femmes dans l’Établissement Leclerc ont retenu toute l’attention de notre organisme. En effet, les descriptions faites signalent une situation pour le moins inquiétante au regard des normes internationales définissant les conditions de détention contenues dans divers traités ratifiés par le Canada et précisées par la jurisprudence internationale et l’ensemble des règles et normes reliées à cette question.
L’ACAT Canada, en vertu de sa mission, participe à l’observation du respect de cet ensemble de règles et de normes et, plus particulièrement, à l’application par les autorités compétentes fédérales et provinciales de la Convention des Nations unies contre la torture, les traitements cruels, inhumains et dégradants. L’ACAT Canada est affiliée à la Fédération internationale des ACAT (FIACAT), cette dernière ayant un statut consultatif auprès des Nations unies, ce qui nous emmène à collaborer avec les instances de surveillance de cette Convention.
Nous avons relevé plus particulièrement les faits suivants, signalés par, entre autres, Sœur Marguerite Rivard. Il s’agit de fouilles de tous genres, dont les fouilles à nu, les enfermements prolongés et répétés dans les cellules, la proximité avec les hommes, les douches sans intimité, l’absence de vêtements et l’accès limité à des produits d’usage féminin. Cela se rajoutant à d’autres restrictions, telles que l’accès au travail, aux livres, au parloir, aux médicaments, à la cafétéria et de multiples autres interdictions. Cet ensemble de circonstances semble conduire à pouvoir considérer les conditions de détention actuelles de ces femmes comme dégradantes, voire inhumaines. En effet, il est ici question de conditions qui sont de nature à atteindre les dimensions physique et psychologique des femmes transférées dans cet établissement. Et puisque les hommes de ce même établissement ont vu leurs ressources coupées, il est à se demander si les répercussions du transfert des femmes ne les auraient pas affectés également.

L’avis de l’ACAT Canada

En effet, des conditions de détention peuvent être jugées comme un traitement cruel, inhumain ou dégradant par le seul fait de l’accumulation ou de la conjugaison de conditions qui ailleurs, prises isolément ne le seraient pas. Cette approche des conditions de détention a été développée et mise en œuvre par les diverses instances onusiennes de surveillance. Les principes fondamentaux relatifs au traitement des personnes détenues [1] affirment qu’elles, sauf pour ce qui est des limitations qui sont nécessairement imposées par le fait de l’incarcération, doivent conserver tous leurs droits et libertés fondamentales en tant que personnes. En effet, toute personne privée de sa liberté, pour quelle que raison que ce soit doit être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Cela signifie que toutes les administrations et tous les organismes de l’État doivent, dans leurs fonctions, non seulement être soucieux des droits de la personne, mais ne doivent en violer aucun et en assurer l’existence en droit et dans les faits.

Extrait de notre lettre envoyée au ministre de la Sécurité publique

Notre lettre a été adressée à M. Martin Coiteux, ministre de la Sécurité publique, avec copies conformes à M. Jean-François Longtin, sous-ministre, M. Philippe Couillard, premier ministre, Mme Lise Thériault, ministre responsable de la Condition féminine, ainsi qu’à Sabrina Bignier, directrice générale de la FIACAT, laquelle a un statut consultatif aux Nations unies.

Monsieur le Ministre, compte tenu de nos observations et des commentaires de nombreuses autres personnes ou organismes, il nous semble important que vous fassiez connaître publiquement les suites données aux diverses interpellations que vous avez reçues au sujet des conditions de vie des personnes incarcérées à l’Établissement Leclerc. Vos refus de ces derniers jours de faire connaître les mesures que vous auriez prises apparaissent totalement incompréhensibles. Vous évoquez aussi étrangement la compétence du Protecteur des citoyens qui d’ailleurs  a signalé avoir effectué deux visites et vous avoir transmis les problèmes identifiés et probablement quelques recommandations. Il n’est pas de sa compétence de décider des mesures à prendre pour rectifier les situations, mais de la vôtre seule. Entretenir le silence  sur cette situation et les éventuelles mesures prises ne peut conduire qu’à penser que cette situation vous échappe ou ne vous concerne pas.
Probablement avez-vous noté que le Canada s’apprête  à signer le Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (OPCAT). L’OPCAT établit un système de visites inopinées et non restrictives dans tous les lieux où des personnes sont privées de leur liberté, par des organes de surveillance nationaux et internationaux indépendants. Le gouvernement du Québec devra donc apprendre à collaborer avec des instances indépendantes qui rendent publiques leurs observations et recommandations.

Note [1] :
Code de conduite pour les responsables de l’application des lois. 1979. Résolution 34/169.
Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement. 1988. Résolution 43/173.
Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing). 1985. Résolution 40/33.
Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations unies. 1975.
Règles des Nations unies pour la protection des mineurs privés de liberté. 1990. Résolution 45/113.