La communauté internationale semble bien incapable d’arrêter la guerre en Syrie. Pourtant, des tribunaux nationaux examinent des plaintes contre des agents de l’État syrien accusés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Cela représente un espoir pour les victimes et leurs proches, ainsi qu’une responsabilité pour les États.
Après sept ans de guerre et des centaines de milliers de morts, la Syrie échappe à tous nos repères alors que s’ajoutent sans fin de nouveaux crimes contre l’humanité. Appartiennent à cette sinistre catégorie les crimes « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque : a) Meurtre b) Extermination c) Réduction en esclavage d) Déportation ou transfert forcé de population e) Emprisonnement f) Torture g) Viol […] » (liste exhaustive à l’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale). L’impunité actuelle des auteurs de ces crimes renforce sans nul doute leur détermination à poursuivre cette guerre par tous les moyens de terreur possibles.
Devant cette situation, la justice internationale est totalement impuissante. La Syrie n’ayant pas reconnu la compétence de la Cour pénale internationale (CPI), celle-ci ne peut ouvrir ni d’enquête ni de procédure.
En 2011, le Comité des droits de l’homme établissait la Commission internationale indépendante d’enquête sur la Syrie qui, depuis, accumule des preuves sur tous les crimes commis. De son côté, l’Assemblée générale des Nations unies créait en 2016 un Mécanisme international, impartial et indépendant (MIII) chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves pour en juger les responsables. Espérons que ces mécanismes collecteront les preuves nécessaires afin un jour d’accuser les auteurs de ces crimes contre l’humanité.
De leur côté, les États aussi peuvent agir pour mener des enquêtes et engager des poursuites judiciaires. C’est aujourd’hui la seule option disponible pour que des victimes obtiennent justice, mais aussi un moyen d’enregistrer des preuves sur les crimes commis et d’identifier les auteurs. Ainsi, des agents de l’État syrien sont nominalement mis en cause devant des tribunaux nationaux. En effet, certains États commencent à agir par l’intermédiaire de leur système judiciaire, sur la base du principe juridique de la compétence universelle qui permet de poursuivre les auteurs de crimes, quels que soient leur nationalité et l’endroit où ils ont été commis [1]. En d’autres termes, cela revient à juger des crimes commis à l’étranger, sur des étrangers, par des étrangers. Ce principe trouve son fondement dans l’idée que certains crimes sont d’une gravité telle qu’ils portent atteinte à l’ensemble de la communauté internationale et qu’ils ne peuvent demeurer impunis.
Par exemple, en Espagne, un procureur pénal a accepté une plainte déposée par une Syrienne naturalisée espagnole pour son frère Abdul, torturé et tué par le régime de Bachar el-Assad. Neuf membres très importants des forces de sécurité et des renseignements syriens sont impliqués [2]. La sœur a pu identifier son frère sur les photos prises par un déserteur de l’armée syrienne aujourd’hui réfugié quelque part en Europe du Nord et qui révèlent le recours systématique à la torture et à l’assassinat [3]. En France, plusieurs procédures sont en cours, notamment celle concernant la disparition de Mazen Dabbagh et de son fils Patrick, enlevés à leur domicile de nuit par des personnes déclarant appartenir aux services syriens de renseignements [4]. Du côté de l’Allemagne, vingt et un réfugiés syriens ont déposé des plaintes et ont été entendus par le Parquet fédéral de Karlsruhe [5]. Dix-sept hauts responsables sont mis en cause, dont le ministre de la Défense et des membres du Service de renseignements de l’armée.
Le Canada est l’un des premiers États à s’être doté d’une législation relative à la compétence universelle. La Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre est en vigueur depuis 2000. Malgré cela, le Canada s’appuie le plus souvent sur le Programme canadien sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, mis en place en 1998 [6], qui a pour mandat essentiel d’empêcher que le Canada ne devienne un refuge pour les criminels. Ce faisant, il privilégie massivement les recours administratifs au niveau de l’immigration en interdisant l’entrée ou le séjour au Canada de criminels, au détriment des enquêtes et poursuites jugées trop dispendieuses. De 1998 à 2011, seules deux personnes ont été jugées, alors que 537 ont été expulsées [7]. On comprend ainsi que le ministre de la Justice du précédent gouvernement, Vic Toews, ait pu déclarer sans détour en 2011 à CBC News que ce n’est pas au Canada de poursuivre les auteurs de crimes contre l’humanité, qu’il n’est pas les Nations unies [8]. Résultat de cette politique : des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes ne sont ni jugées au Canada ni extradées vers leur pays pour y être finalement jugées.
Par ailleurs, la présence de réfugiés ou de personnes d’origine syrienne sur le territoire canadien nous offre la possibilité de recueillir des témoignages permettant d’identifier des victimes et des responsables. Il s’agit d’une opportunité cruciale qui doit être sérieusement étudiée par les autorités, possiblement en concertation avec des organisations canadiennes pouvant contribuer à ce travail de collecte essentiel pour contrer l’impunité.
L’ACAT Canada vous propose donc d’agir auprès des autorités canadiennes pour qu’elles se saisissent très sérieusement de la situation. En effet, par son adhésion au Statut de la Cour pénale internationale en juillet 2002, le Canada, comme tout autre État partie, a la lourde responsabilité de traiter lui-même en premier lieu, les crimes contre l’humanité. La CPI ne devient compétente que si les États ne manifestent ni la volonté ni la capacité de mener de véritables enquêtes et poursuites. Seule une volonté politique déterminée peut rendre concrète une telle responsabilité morale.

Appel à l’action préparé par Catherine Malécot, vice-présidente

Notes

[1] Comité international de la Croix-Rouge (CICR). 2014. La compétence universelle en matière de crimes de guerre. www.icrc.org/fr/download/file/2157/universal-jurisdiction-icrc-fre.pdf
[2] Bussard, Stéphane. 2017-02-01. Première historique : une plainte pénale est déposée contre des agents du régime syrien. Le Temps. www.letemps.ch/monde/premiere-historique-une-plainte-penale-deposee-contre-agents-regime-syrien
[3] Human Rights Watch. 2015. Syrie. Témoignages sur les photos des détenus tués. www.hrw.org/fr/news/2015/12/16/syrie-temoignages-sur-les-photos-des-detenus-tues
[4] Mathieu, Luc. 2017-08-07. Franco-Syriens disparus en 2013 : une famille en quête de réponses. Libération. www.liberation.fr/planete/2017/08/07/franco-syriens-disparus-en-2013-une-famille-en-quete-de-reponses_1588718
[5] European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR). 2017. Torture under the Assad Regime. Germany paves the way for first Syrian cases under universal jurisdiction laws. www.ecchr.eu/en/international-crimes-and-accountability/syria/torture-under-assad.html
[6] Gouvernement du Canada, ministère de la Justice. Programme sur les crimes de guerre. www.justice.gc.ca/fra/jp-cj/cdg-wc/prog.html
[7] Gouvernement du Canada. 2011. Rapport 2008-2011 du Programme canadien sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. cbsa.gc.ca/security-securite/wc-cg/wc-cg2011-fra.html
[8] Payton, Laura. 2011-08-03. War crimes prosecution not up to Canada, Toews says. CBC News. www.cbc.ca/news/canada/war-crimes-prosecution-not-up-to-canada-toews-says-1.1065599
 


Appel à l’action pour la Syrie : Mode d’emploi pour agir

Pour faire suite à l’étude de cas présentée ci-haut, agissez!
Premièrement, signez et ajoutez votre nom sur deux exemplaires de la lettre en format modifiable .docx ou la lettre en format .pdf. Ensuite, expédiez les copies de cette lettre à ces adresses.

Destinataires (tarif au Canada = 0,85$ en rouleau ou 1,00$ à l’unité) :
Le très honorable Justin Trudeau, Premier ministre du Canada
Cabinet du Premier ministre
80, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A2
Courriel : Justin.Trudeau@parl.gc.ca
L’honorable Jody Wilson-Raybould
Ministre de la Justice
Chambre des communes
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Courriel : Jody.Wilson-Raybould@parl.gc.ca