La mission de l’ACAT Canada se limite aux situations de torture et de mauvais traitements au sens des articles 1 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, c’est pourquoi nous analysons toujours les problématiques en droits humains en lien avec la torture. Cela vaut aussi pour la question de la peine de mort.

Nous allons, dans cet article, résumer le Rapport intérimaire du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants déposé à l’Assemblée générale des Nations unies en août 2012 afin de faire état de son examen des « liens entre la peine de mort et l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants, en tenant compte du dialogue mené au sein de la communauté internationale concernant l’abolition de cette peine » (§25).

Cadre juridique

Sous certaines conditions et pour les crimes les plus graves, la peine de mort (PM) est autorisée par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) (art. 6) tandis que la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants sont formellement interdits par ce pacte (art. 5) et par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CCT) (art. 1 et 16).

Bien que l’article 1 de la CCT précise que la définition de la torture ne couvre pas l’application de « sanctions légitimes », la PM peut quand même être examinée en lien avec la torture pour diverses raisons que ce rapport aborde. De plus, nous soulignons que le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (RST) souhaite reprendre les observations de son prédécesseur qui, en 2009 (A/HRC/10/44), rapportait que les organes judiciaires pourraient, avec le temps, faire évoluer l’interprétation à l’effet que la PM est une sanction illégitime. Cette évolution du droit international s’est déjà produite pour les châtiments corporels qui ont été retirés des sanctions légitimes en devenant une pratique proscrite désormais considérée « comme l’une des plus graves violations des droits de l’homme » (§27).

Comment la peine de mort viole l’interdiction de la torture

Même si le droit international considère la PM comme étant légale sous certaines conditions, les modalités entourant sa mise en œuvre ne doivent pas enfreindre l’interdiction de la torture et des mauvais traitements. En effet, les méthodes d’exécution et le syndrome du couloir de la mort sont pointés du doigt et le RST « demande instamment que soit sérieusement réexaminée la question de savoir si les pratiques en cours en matière de peine de mort sont assimilables à des traitements cruels, inhumains et dégradants, voire à des actes de torture » (§30).

Selon la jurisprudence internationale et celle de certains organes nationaux, il est estimé depuis longtemps que l’exécution par lapidation ou par gaz constitue un mauvais traitement en raison du temps que la personne met à mourir. De même, la pendaison tend à être considérée comme une méthode douloureuse. Il faut noter au passage que la Cour européenne « a jugé que le fait pour le condamné de savoir que l’État lui donnerait la mort devait inévitablement susciter chez lui une intense souffrance psychique » (§35). D’autres méthodes constituent incontestablement des traitements cruels, inhumains et dégradants, comme le fait de matraquer ou arracher la tête de ceux qui ne meurent pas instantanément (§36).

Les avis des Comité des droits de l’homme et Comité contre la torture remettent aussi en question l’exécution par injection qui n’est pas aussi efficace qu’on le croit parce que des experts « concluent que même si l’injection est administrée sans erreur technique, les personnes exécutées peuvent souffrir de suffocation, et que l’opinion traditionnelle selon laquelle l’injection létale entraîne une mort paisible et sans douleur est par conséquent discutable » (§38).

L’exécution par fusillade enfin pourrait être sans douleur, toutefois le fait qu’elle soit faite en public « expose souvent les condamnés à des démonstrations de mépris et de haine indignes et déshonorantes. Quant aux exécutions secrètes, elles violent le droit qu’a le condamné, ainsi que les membres de sa famille, de se préparer à la mort » (§40). Le RST conclut donc que les « États ne sont pas en mesure de garantir qu’il existe un mode d’exécution indolore » (§41).

Outre les méthodes d’exécution, la PM viole l’interdiction des traitements dégradants par la conjugaison de conditions de détention discutables qui privent les condamnés de soins et services essentiels prévus par l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus ou l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement. De plus, le PIDCP impose que « toute personne privée de sa liberté [soit] traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine » (art. 10).

Il a aussi été reconnu que le « couloir de la mort » générait une angoisse particulièrement intense : « La Commission interaméricaine a régulièrement conclu, dans le cadre de différentes réunions de travail et à propos de différents pays de la région, que la situation vécue par les condamnés à mort était le plus souvent inhumaine et que les détentions prolongées dans le couloir de la mort, les sentiments d’anxiété suscités par la menace d’une mort prochaine et d’autres conditions constituaient une violation de l’interdiction de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants » (§44). La jurisprudence régionale et nationale en est venue à reconnaitre cette douleur psychique étendue dans le temps comme le « syndrome du couloir de la mort » en raison des délais pouvant parfois durer jusqu’à 10 ans – cependant, pour constituer une violation de l’article 7 du PIDCP, le Comité des droits de l’homme a statué que c’est « la privation simultanée de tout un ensemble de droits humains fondamentaux [qui] est assimilable à un traitement inhumain et dégradant, voire à un acte de torture » (§47). Cependant, le RST s’est prononcé à de nombreuses reprises sur l’incertitude prolongée causant des souffrances mentales aiguës portant atteinte à la dignité humaine. D’autres instances nationales et régionales ont aussi souligné que l’angoisse intense générée par le couloir de la mort suffit pour que cette pratique soit une violation de l’interdiction de torture. Par exemple en 1972, « la Cour suprême de Californie a jugé que l’exécution de la peine capitale était si dégradante pour l’esprit humain qu’elle s’assimilait à un acte de torture psychologique » (§51).

Évolution vers une norme coutumière

Le RST plaide en faveur d’une évolution de la situation qui ferait en sorte que l’exécution de la PM serait en contradiction avec l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants. Il souligne qu’en dépit du fait que « les organismes internationaux compétents dans le domaine des droits de l’homme n’aient pas encore pris l’initiative de considérer la peine capitale proprement dite comme contrevenant à l’interdiction de la torture et autres formes de traitement cruel, inhumain ou dégradant, on relève néanmoins un net mouvement dans cette direction aux niveaux régional et national » (§53). Effectivement, on a observé une évolution dans le domaine du droit international en ce qui concerne les châtiments corporels, la traite humaine ou la violence domestique. Par conséquent, il soulève la question de savoir « s’il existe pour la peine de mort une norme évolutive comparable » (§56).

En s’appuyant sur la déclaration du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires au sujet de la peine de mort qui affirmait que « le non-respect des normes conduit à une privation arbitraire et par conséquent illicite du droit à la vie » (§57), le RST affirme qu’une norme coutumière pourrait être en voie d’apparaître concernant la considération de la PM comme une mesure contrevenant à l’interdiction de la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants (§58). Par exemple, la peine de mort obligatoire a été jugée inconstitutionnelle pour certains États parce qu’elle ne tient pas compte des circonstances propres à la personne jugée et qu’elle est de ce fait « incompatible avec le droit à la vie, à l’intégrité et à une procédure régulière ». Ou encore, d’autres jugements nationaux ont estimé que la PM issue d’un procès inéquitable équivalait à un traitement inhumain. Enfin, en matière d’exécution de mineurs, le droit international a évolué au point que son interdiction est impérative (jus cogens) (§62), c’est-à-dire qu’aucune justification ne peut être invoquée pour y déroger. La même chose est constatable par rapport à la PM pour les femmes enceintes, les personnes âgées ou les handicapés mentaux (§63).

À la base, néanmoins, la création d’une norme de droit coutumier a été définie par le Statut de la Cour internationale de Justice comme nécessitant la présence de deux facteurs : « [i] la pratique générale des États et [ii] ce qu’ils acceptent en tant que règle de droit (opinio juris). Les États sont tenus de respecter le droit international coutumier, qu’ils l’aient codifié dans leur droit interne ou dans des traités. » (§65).

Selon le RST, une règle coutumière interdisant la peine de mort est en train d’apparaître parce qu’il est impossible de concilier la PM avec l’interdiction de la torture et ce, même si certains organes de protection hésitent à l’affirmer. Le fait que plusieurs jugements de cours nationales et régionales ont affirmé que la PM représentait un traitement cruel, inhumain ou dégradant et portait atteinte à la dignité inhérente de la personne humaine fait dire au RST qu’on « peut donc parler d’une évolution des États et des autorités judiciaires, qui voient dans la peine capitale une violation en soi de l’interdiction de la torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants (…) [et] qu’une règle coutumière interdisant la peine de mort en toute circonstance, si elle n’est pas encore apparue, est du moins en voie de formation » (§72).

Conclusion

L’évolution de la pratique des États montre une tendance à l’abolition de la peine de mort reposant sur « la conviction affirmée que la peine capitale est cruelle, inhumaine et dégradante, dans l’absolu comme dans la manière dont elle est appliquée » (§73). Il s’agirait d’une nouvelle norme qui « est en passe de devenir une règle du droit coutumier, si ce n’est déjà le cas » (§74). Si elle n’est pas encore une règle de droit coutumier, le RST estime que les conditions de l’application de ce châtiment l’assimilent à la torture, ou au moins à un traitement cruel, inhumain et dégradant. Les « États ne peuvent garantir que l’interdiction de la torture sera scrupuleusement respectée dans tous les cas » (§76). Au moins, il est clair que la lapidation et l’asphyxie au gaz sont des mauvais traitements et peut-être même de la torture, ainsi qu’un séjour prolongé dans le couloir de la mort quand les conditions de vie sont difficiles et ne respectent pas les normes internationales en matière d’incarcération.

À la fin du rapport, le RST recommande de « réexaminer la question de savoir si la peine de mort en soi respecte la dignité inhérente à la personne humaine, occasionne une douleur ou des souffrances psychiques et physiques graves et constitue une violation de l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants (…), [il recommande de plus] qu’une étude juridique plus approfondie soit réalisée sur l’apparition d’une règle coutumière interdisant le recours à la peine capitale en toute circonstance » (§79).

Si les États s’entendent de plus en plus pour interdire la peine de mort, c’est que celle-ci se transforme peu à peu en une sanction illégitime, et que son interdiction deviendra éventuellement une norme coutumière. Ensuite, le pas à franchir pour les instances internationales sera de reconnaitre qu’aucune circonstance ne puisse justifier l’ordre d’exécuter une personne accusée d’un crime, octroyant ainsi à cette norme coutumière un statut impératif de jus cogens. Mais avant tout, il s’agit de faire une relecture de la notion de dignité inhérente à la personne humaine afin qu’elle soit explicite pour tous les individus. C’est ce changement de mentalité qui est le plus difficile à opérer, car comme pour l’exemple de la torture, l’interdiction est impérative, mais son abolition demeure en progression – nous appelant ainsi à la vigilance continue.

Résumé de Nancy Labonté, coordonnatrice

Source

Assemblée générale des Nations unies. 2012-08-09. Rapport intérimaire du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, A/67/279. documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N12/458/13/PDF/N1245813.pdf