Devant la surpopulation des prisons et ses conséquences sur le plan des droits de la personne, il existe une position radicale qui envisage leur abolition. Vouloir abolir les prisons impose de penser à des solutions de remplacement à l’emprisonnement. Or ces moyens existent déjà, il faut donc les encourager. Cet article propose d’explorer l’idée des mesures non privatives de liberté.
D’abord, il faut sortir de l’horizon absolu de la punition. Toutes les situations où une personne contrevient au Code criminel n’ont pas pour origine la malveillance. Une grande partie des personnes contrevenantes souffrent par exemple de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. Souvent, elles sont pauvres ou stigmatisées d’une quelconque façon. La punition ne les guérit pas, ne les enrichit pas, aggravant les effets de la stigmatisation sociale. Repenser l’incarcération oblige à poser la question du respect de la dignité humaine. Comment demander à un individu vulnérable d’agir dignement si le système ne répond que par la punition ?
C’est dans les lieux privatifs de liberté qu’on retrouve le plus de traitements cruels, inhumains ou dégradants, souvent à cause de la surpopulation et du manque de ressources. Les personnes incarcérées dépendent de l’État et de son bon vouloir… Cependant, la décision d’incarcérer n’est pas obligatoire. On pourrait adopter des mesures non privatives de liberté et imposer des sanctions autres que la détention. Les bénéfices de telles mesures sont économiques, bien sûr, puisqu’elles réduisent le nombre de personnes en prison, mais aussi sociaux et sécuritaires, dans le sens où ces mesures sont orientées vers la réhabilitation et l’éducation. Pour qu’il soit en mesure de déterminer la meilleure sanction possible, le juge doit prendre en compte une analyse que lui fournissent « les antécédents, la personnalité, les aptitudes, l’intelligence et les valeurs du délinquant, en particulier les circonstances qui ont abouti au délit » [1].
En fait, la possibilité de probation existe déjà au Canada. Elle peut prendre la forme d’une thérapie ou d’un maintien en emploi avec des conditions à remplir, ces dernières étant plus rares en raison du manque de ressources pour les contrôler. Les peines de travaux communautaires sont plus fréquentes. Le système canadien suit, dans une très petite mesure, les Règles minima des Nations unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté, dites « règles de Tokyo » [2]. Mais, comme c’est souvent le cas, le budget n’est pas toujours au rendez-vous, et la mise en œuvre de ces mesures en souffre. Celles-ci sont donc utilisées moins souvent que prévu. Pourtant, le principe d’intervention minimale est intéressant.
Selon les principes définis par les règles de Tokyo, les mesures privatives de liberté ne sont pas toujours nécessaires, et les mesures non privatives de liberté devraient être privilégiées. À l’ACAT Canada, nous sommes aussi critiques de la mise en œuvre des mesures privatives de liberté. C’est pourquoi nous nous intéressons à l’étude des règles de Tokyo, car ces dernières permettent d’éliminer une grande probabilité d’atteintes à la dignité des personnes les plus vulnérables.
Les mesures non privatives de liberté sont nombreuses. D’abord, les petits délits peuvent recevoir des sanctions orales, comme la réprimande et l’avertissement. Aussi, une personne prévenue peut maintenir sa liberté grâce à la libération sur caution – mesure toutefois discriminatoire sur le plan économique. Certaines peines retirent un droit, comme celui d’avoir des contacts avec certaines personnes ; d’autres sont pécuniaires, comme les amendes et l’indemnisation des victimes (cette mesure peut elle aussi être discriminatoire pour les personnes vivant dans la pauvreté). Comme mentionné plus haut, il existe également des mesures de probation et de sursis, les peines de travaux communautaires, l’assignation à résidence ou dans un établissement de soins qui n’est pas nécessairement privatif de liberté, comme les centres de traitement de la toxicomanie. Mais d’autres formes de traitements en milieu libre imposent de « mettre au point diverses solutions telles que les méthodes individualisées, la thérapie de groupe, les programmes avec hébergement et le traitement spécialisé de diverses catégories de délinquants, en vue de répondre plus efficacement aux besoins de ces derniers » [3]. Nous pourrions citer les programmes d’employabilité ou les groupes de soutien pour délinquants sexuels et en imaginer d’autres. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition au Canada permet également l’application de telles mesures lors de la liberté sous condition octroyée avant la fin de la sentence servie en lieu privatif de liberté.
Les règles de Tokyo indiquent que les collectivités doivent apporter leur contribution à la mise en œuvre de ces mesures. En effet, il n’y a pas de justice non punitive sans insertion sociale. Et pour cela, le milieu communautaire est tout indiqué. Les règles de Tokyo supposent que le crime touche la personne contrevenante et la victime, mais aussi la communauté. Il est donc approprié que le milieu communautaire constitue le cadre de l’insertion. Mais encore faut-il que ces solutions communautaires soient correctement financées. Même si quelques solutions existent au Canada, elles sont sous-représentées. L’opinion publique y est pour beaucoup et, surtout, les ressources font défaut. En effet, si certaines mesures non privatives de liberté comme la libération sur caution ou la libération conditionnelle font partie intégrante de l’offre canadienne, il est plus rare qu’un juge les utilise comme sanction, car peu de programmes communautaires sont financés en ce sens. Quand on sait que le système correctionnel vise à contribuer « à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois » [4], on peut se demander pourquoi en amont on souhaite retirer une personne de la société lorsque celle-ci y est bien insérée à la base. Une mesure non privative de liberté pourrait permettre à cette personne de maintenir son lien d’emploi, tout en participant à des programmes adaptés à sa condition et offerts par la collectivité.
Les solutions de remplacement à l’incarcération s’enracinent dans l’idée que la justice pénale n’est pas indiquée dans toutes les circonstances. La plupart du temps, c’est la pauvreté, la maladie et la stigmatisation sociale qui doivent être prises en compte et traitées. Dans cette optique, on pourrait affirmer que plusieurs types de délits devraient être abordés comme touchant des enjeux de santé publique. Dans cet esprit de soins des personnes, si on rencontre un cas d’échec d’une mesure non privative de liberté, il est recommandé d’éviter complètement l’incarcération et de persister avec des mesures non privatives de liberté. De telles règles permettent de sortir de l’horizon de la punition. De plus, il est capital de considérer que « le recours à des mesures non privatives de liberté doit s’inscrire dans le cadre des efforts de dépénalisation et de décriminalisation » [5].
L’ACAT Canada veille sur le système punitif des établissements de détention, parce qu’il s’agit d’un endroit où les droits de la personne sont faciles à bafouer. Les conditions de vie des prisonniers au Canada et dans le monde nous préoccupent. Nous savons que le fait d’être incarcérée crée ou accentue la vulnérabilité d’une personne. Les conditions de détention, l’usage de la force et le recours aux mesures de placement en isolement renforcent encore le risque de mise en danger des personnes. Or, nous constatons que pour un grand nombre de personnes, surtout les plus vulnérables, la prison serait inutile si la justice pénale intégrait pleinement les règles de Tokyo.
Si les alternatives à l’incarcération semblent adéquates pour les offenses les moins graves, l’opinion publique n’est pas du même avis quand il s’agit de meurtre ou de délinquance sexuelle. Dans ces cas, c’est souvent un suivi psychologique qui est nécessaire et même impératif. Pour les délinquants sexuels, il a en effet été prouvé qu’un traitement était plus efficace que l’emprisonnement pour prévenir la récidive [6]. En fait, la question à se poser est : que souhaitons-nous réellement ? La punition ou la réhabilitation ?
Réflexion de Nancy Labonté, coordonnatrice
Sources
Gouvernement du Canada. 1992. Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/C-44.6/TexteComplet.html [4]
Office des Nations unies contre le crime et la drogue. 2007. Recueil des règles et normes de l’Organisation des Nations Unies en matière de prévention du crime et de justice pénale. www.unodc.org/unodc/fr/justice-and-prison-reform/compendium.html [1] [2] [3] [5]
Soothill, Keith. 2010. Sex Offender Recidivism. Dans Crime and Justice, vol. 39(1), p. 145-211 [6]