Cas étudié par Laïla Faivre.

Le Comité contre la torture des Nations unies vient de condamner la Tunisie en mai 2016 pour les tortures infligées au Tuniso-Canadien Taoufik Elaïba lors de sa garde à vue, ainsi que pour la prise en compte d’aveux forcés à partir desquels la victime est encore aujourd’hui détenue.

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Le contexte

Depuis le renversement de Zine El Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011, la pratique de la torture,  déjà largement utilisée par le précédent régime, n’a pas été interrompue. Une des explications principales de cette continuité dans la pratique de la torture réside notamment dans la culture de l’impunité prévalant au sein des forces de sécurité et contre lesquelles quasiment aucune procédure n’a été diligentée pour rendre justice aux très nombreuses victimes. Les victimes sont donc privées de tout accès à la vérité, à la justice et à des réparations.
Les souffrances subies par Taoufik Elaïba sont emblématiques du phénomène tortionnaire tunisien qui perdure aujourd’hui encore. Des dizaines, voire des centaines de Tunisiens ont déjà été torturés dans le cadre de la lutte antiterroriste qui a repris début 2012. Des personnes sont aussi torturées lors de répression de manifestations, après une altercation avec un policier ou encore en prison, après une dispute avec un gardien.
Tout au long de la session du Comité contre la torture, la délégation tunisienne présidée par Kamel Jendoubi, ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de la personne, a affirmé sa volonté d’éradiquer le phénomène tortionnaire et de rendre justice aux victimes. Cependant, cette survivance de la torture pendant la garde à vue en Tunisie, qui s’explique par cette persistance de l’impunité, réside également dans le fait que  certains détenus sont isolés, et demeurent sans droit à l’assistance d’un avocat [1].
Le 1er septembre 2009, Taoufik Elaïba est arrêté par les agents de la garde nationale à son domicile et conduit au poste de Laaouina à Tunis. Interrogé sur un trafic de véhicules après avoir été dénoncé par un proche de la famille de Ben Ali, Taoufik Elaïba a mis en cause le neveu du président. Cette accusation lui vaut d’être soumis à de nombreux sévices jusqu’à ce qu’il signe des aveux. Il a été torturé et détenu dans des conditions cruelles, inhumaines et dégradantes durant les 11 jours de son incarcération, dépassant ainsi le délai légal de garde à vue de trois jours renouvelable une fois. Par la suite, il sera entendu par le juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis, toutefois, se dernier ne prend pas note des allégations de torture, ne dénonce pas non plus les faits au procureur et place M. Elaïba en détention à Mornaguia.
Taoufik Elaïba prend alors l’initiative de porter plainte pour torture le 26 septembre 2009, mais aucune suite ne sera donnée. Le 31 octobre 2011, il est condamné à 22 ans de prison pour trafic de voitures, les juges s’étant ainsi fondés sur les aveux signés par l’accusé sous la torture au moment de sa garde à vue.
En décembre 2011, une nouvelle plainte pour torture est déposée visant l’ouverture d’une enquête, permettant de soumettre la victime à un examen médical et ainsi faire en sorte que les aveux ne soient pas pris en compte par le juge d’appel. L’instruction s’est ouverte en mai 2012, soit 32 mois après le dépôt de la première plainte. Bien qu’une audition de la victime et de quelques témoins ait eue lieu, la plainte reste au point mort, confirmé par la décision de la Cour d’appel de Tunis qui s’aligne sur le jugement de première instance, tout en réduisant la condamnation à sept ans de prison.
Face à sa condamnation définitive par la Cour de cassation tunisienne, le Comité contre la torture est alors saisi par la victime, par l’ACAT France et par TRIAL grâce à une communication individuelle pour le compte de M. Elaïba, en juin 2013. La demande se fonde sur la reconnaissance des allégations de torture et sur la violation par la Tunisie de la Convention contre la torture, plus particulièrement les articles 1, 2, 12, 13, 14, 15 et 16 [2].
En avril dernier, la Tunisie a été examinée par le Comité contre la torture de l’ONU pour la première fois depuis la révolution. Dans ses observations finales du mois de mai, le Comité a relevé notamment la persistance du recours à la torture, de la prise en compte d’aveux forcés et les nombreux obstacles persistants à la lutte contre l’impunité. À la suite de ces observations, la Tunisie est condamnée pour les tortures infligées à Taoufik Elaïba lors de sa garde à vue, comme pour l’absence d’enquête sur les allégations de torture et de réparation de la victime ainsi que pour la prise en compte d’aveux forcés à partir desquels la victime est encore aujourd’hui détenue [3].

Le droit international

En 1988, la Tunisie a ratifié la Convention des Nations unies contre la torture et a reconnu la compétence du Comité contre la torture, pour ensuite recevoir des plaintes individuelles la même année. En 2011, le gouvernement tunisien fait également bonne figure en ratifiant le Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Mais c’est à partir des années 1990 que le crime de torture a été introduit dans son Code pénal, à l’article 101 bis. Cet article a été modifié après la révolution, en octobre 2011, prétendument pour accroître la répression du phénomène tortionnaire. En résulte une définition de la torture au rabais, plus éloignée que la précédente de la définition internationale donnée par la Convention contre la torture [4].
Dans un tel contexte, l’ACAT Canada vous propose d’interpeller les autorités tunisiennes pour demander la libération immédiate de Taoufik Elaïba et obtenir que les responsables soient poursuivis et qu’ainsi, justice lui soit rendue pour les violations graves qu’il a subies depuis son arrestation.

Sources

ACAT France. 2015. Abécédaire de la torture en Tunisie. http://www.acatfrance.fr/public/tunisie2015_abcdaire.pdf [4]
ACAT France. 2015. Il faut libérer Taoufik Elaïba, victime de torture détenue depuis plus de cinq ans. https://www.acatfrance.fr/action/je-soutiens_taoufik_elaiba [3]
ACAT France. 2016. Le Comité contre la torture de l’ONU condamne la Tunisie pour les tortures infligées à Taoufik Elaïba. http://www.acatfrance.fr/communique-de-presse/le-comite-contre-la-torture-de-lonu-condamne-la-tunisie-pour-les-tortures-infligees-a-taoufik-elaiba [2]
TRIAL. 2016. Torture de M. Taoufik Elaïba en septembre 2009. http://www.trial-ch.org/fr/activites/actions-juridiques/le-centre-daction-juridique-caj/les-affaires-du-caj/tunisie/affaire-taoufik-elaiba.html [1]