Plus d’une trentaine de personnes et d’organisations mobilisées pour la paix et le respect des droits humains ont été menacées de mort récemment. La situation n’a cessé de se dégrader depuis la signature de l’accord de paix, fin 2016. Selon les dernières statistiques de 2020, on compte pratiquement un assassinat par jour parmi les personnes qui défendent les droits humains.

Le 15 janvier 2020, une longue liste d’organisations et d’individus impliqués dans la défense des droits en Colombie a fait l’objet de menaces de mort sur les réseaux sociaux de la part du groupe paramilitaire Águilas Negras (Aigles noirs). Parmi les cibles, on trouve des défenseurs de l’accord de paix, et notamment des victimes du conflit armé interne (plus particulièrement des femmes, des personnes mutilées et des communautés indigènes et afro-colombiennes) et de la restitution des terres spoliées, ainsi que des personnalités politiques de gauche. Sont notamment menacées Patricia Linares, avocate et présidente de la Juridiction spéciale pour la paix (JSP), et Pilar Rueda Jimenez, coordinatrice de l’équipe responsable des questions de genre au sein de l’Unité d’investigation et d’accusation de la JSP, ainsi que l’ONG Collectif d’avocats « José Alvear Restrepo » (CAJAR), membre de la Coalition colombienne contre la torture (CCCT).

Dans leur prospectus, les paramilitaires proclament : « Les leaders sociaux seront exécutés sans pitié et où qu’ils se trouvent : chez eux, dans leurs bureaux, sur les routes ou dans des espaces publics » [1]. Ils annoncent une récompense de 8 000 euros pour l’assassinat d’une personne nommément citée dans leur document. Il y est également question de « torturer, enlever, faire disparaître, mutiler, démembrer pour l’exemple afin que d’autres ne s’avisent pas d’ouvrir leur bouche et d’inciter à la contestation […] pour retarder le développement du pays » [2]. Le prospectus promet enfin que le premier « semestre 2020 sera le plus sanglant que la Colombie ait connu pour tous ceux et toutes celles que l’on appelle des leaders sociaux et des défenseurs des droits humains » [3].

Le contexte

Le conflit armé interne qui a duré plus de 50 ans a fait environ 9 millions de victimes (déplacements internes, disparitions forcées, enlèvements, torture, violences sexuelles, etc.). Le 1er décembre 2016, un accord de paix entre l’État et la principale guérilla du pays, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), a été ratifié. L’accord prévoit notamment :

  • le cessez-le-feu et le dépôt des armes par les guérilleros, ainsi que le démantèlement de toutes les organisations paramilitaires et criminelles ;
  • l’amnistie des infractions politiques, mais des poursuites pénales pour les crimes de guerre et contre l’humanité par la Juridiction spéciale de paix (JSP) ;
  • le développement de la participation citoyenne et politique, notamment par la protection des nouveaux partis et des mouvements sociaux ;
  • la restitution des territoires spoliés, une répartition plus équitable des terres et le développement de services publics dans les zones rurales ;
  • la lutte contre les réseaux de trafic de drogue et la promotion de cultures alternatives auprès des petits producteurs.

Toutefois, la mise en application de l’accord est loin d’être aisée, car tous ne sont pas favorables à la paix. Le président élu en juin 2018, Ivan Duque, issu de la droite rigide, s’est toujours montré hostile à l’accord signé par son prédécesseur, Juan Manuel Santos. Par ailleurs, aucun accord de paix avec la guérilla Armée de libération nationale (ELN) n’a encore abouti, et les violences n’ont pas cessé sur ce front. Or, la présidence actuelle ne laisse rien présager de positif pour ces accords de paix.

Des groupes criminels issus des paramilitaires d’extrême droite, théoriquement démobilisés en 2005, sont en réalité très actifs. Ces néo-paramilitaires s’enrichissent par le narcotrafic et d’autres activités illégales, et ils s’en prennent à toute personne susceptible de menacer leurs activités. Ces groupes se développent et seraient présents dans 31 départements sur 32, selon des organismes colombiens ayant communiqué des rapports lors de l’Examen périodique universel réalisé en 2018 par le Comité des droits de l’homme des Nations unies. D’après Somos Defensores (Nous sommes les défenseurs), les paramilitaires seraient responsables de 87 % des assassinats de personnes qui défendent les droits humains pour lesquels les auteurs ont pu être identifiés.

Si la criminalité baisse en Colombie, les violences envers les défenseurs et les leaders sociaux s’intensifient dans les zones délaissées par le gouvernement. En plus des paramilitaires, de nouveaux acteurs non étatiques sont apparus : certaines entreprises. Les défenseurs sont aussi visés dans des opérations de répression ou de sécurité menées par la police et l’armée.

Soulignons d’autres éléments de cet alliage dangereux : l’impunité des auteurs des violences et une justice éprouvant des problèmes structurels, notamment des interventions injustifiées de hauts responsables gouvernementaux ou des agressions contre des procureurs, juges, victimes, témoins et avocats, voire la corruption de certains magistrats.

La situation des personnes qui défendent les droits humains a été jugée « à risques » par plusieurs procédures spéciales, notamment par le Groupe de travail sur les détentions arbitraires et par le Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, comme le signalait le Comité contre la torture en 2015. Le Comité se montrait également préoccupé par les tortures qui interviennent très souvent à la suite de disparitions forcées et d’arrestations arbitraires, et qui peuvent précéder les exécutions extrajudiciaires, que les responsables soient des agents de l’État ou pas.

Il n’est donc pas étonnant qu’en 2019 la Colombie se trouve une nouvelle fois largement en tête des pays les plus dangereux pour les activistes, avec au moins 107 assassinats, selon l’ONU. De janvier à juin 2019, Somos Defensores a enregistré 591 agressions. Ce chiffre est le plus élevé enregistré depuis la mise en place de leur système d’information sur les agressions contre les défenseurs des droits de l’homme, il y a dix ans. Si le nombre de meurtres a baissé de 23 % par rapport au premier semestre de 2018 (59 en 2019 contre 77 en 2018), on observe une augmentation de 75 % des menaces.

Interrogé par la revue Humains en 2018, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme, Michel Forst, revient sur le rôle crucial de ceux-ci pour construire la paix, plus d’un an et demi après la signature des accords de paix en novembre 2016. Il affirme avoir pu constater lors de sa visite dans ce pays en 2015 une atmosphère terrifiante : « Les défenseurs me racontaient les attaques, les menaces et les assassinats. Lors d’une réunion avec environ une cinquantaine de personnes, Gustavo Gallon, le directeur de la Commission colombienne des juristes, m’a dit : “Là, nous sommes une cinquantaine autour de la table et chaque semaine, l’un d’entre nous est assassiné.” Imaginez que vous êtes dans une pièce avec une cinquantaine de personnes et dites-vous qu’à la fin de l’année il n’y aura plus personne, car semaine après semaine, chacun d’entre eux sera systématiquement éliminé… La conclusion que j’en ai tirée, c’est qu’il ne s’agit pas d’une violence aveugle, mais d’une violence meurtrière qui cible délibérément des personnes, des femmes, des hommes et maintenant des enfants… C’est une façon d’instiller un sentiment de peur, de frayeur, afin de faire comprendre que personne n’est à l’abri, malgré le Mécanisme de protection des défenseurs. Tout cela est encouragé par un sentiment général de suspicion contre les défenseurs. Ils sont accusés d’être des criminels, des alliés du crime organisé, des ennemis de l’État et de la paix, des “anti-développement” ou des “anti-progrès” » [4].

Or, le Mécanisme de protection colombien est l’un des plus importants, comparé à celui du Honduras ou du Mexique, permettant de suivre heure par heure la situation des personnes protégées. Voitures blindées, boutons de panique, installations électriques, protection numérique, etc. « Mais la réalité, c’est que lorsqu’une personne a décidé d’en tuer une autre, il est extrêmement difficile de la protéger » [5].

Action préparée par Catherine Malécot, vice-présidente


Vous pouvez agir

Lettre d’action en format .pdf : Lettre pour la Colombie pdf 2020-03

Lettre d’action en format modifiable .docx : Lettre pour la Colombie docx 2020-03


Sources

ACAT France. 2020. Recrudescence des menaces contre les défenseur.e.s de la paix. acatfrance.fr/actualite/recrudescence-des-menaces-contre-les-defenseures-de-la-paix [1] [2] [3]

Comité contre la torture. 2015. Examen du rapport de la Colombie. www.ohchr.org/fr/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=15918&LangID=F

Conseil des droits de l’homme. 2018. Groupe de travail sur l’Examen périodique universel. Résumé des communications des parties prenantes concernant la Colombie. daccess-ods.un.org/access.nsf/Get?Open&DS=A/HRC/WG.6/30/COL/3&Lang=F

Demontis, Anna. 2018. « Les défenseurs sont des artisans de la paix » (entrevue avec Michel Forst). Dans Humains, N° 06, p. 12-13. www.acatfrance.fr/courrier/humains-n06—non-violence—la-force-dans-la-dignite [4] [5]

Somos Defensores. Site web. somosdefensores.org