Appel à l’action préparé par le Comité des interventions.

En octobre 2016, la justice djiboutienne a ordonné la remise en liberté d’un opposant politique, Mohamed Ahmed, en détention depuis six ans. Malgré l’annulation de toute la procédure judiciaire, ce dernier demeure en prison en toute illégalité.
Mohamed Ahmed, dit « Jabha », est un militant d’un mouvement politique d’opposition, le Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie (FRUD), depuis sa création en 1991. Le 1er mai 2010, alors qu’il essayait de défendre une femme enceinte que des soldats tentaient de violer près de Moussa Ali (au nord-ouest du district de Tadjourah), il a été arrêté par des membres de l’Armée nationale djiboutienne. Considéré comme un « chef de bande » à la solde de l’Érythrée, il est soupçonné de « coopération avec un État ennemi ». Dès le début de sa détention en juin 2010 au pénitencier central de Djibouti, Gabode, il a été torturé à de nombreuses reprises. Entre privations de nourriture, simulacres d’exécution et passages à tabac répétés, ces mauvais traitements à son encontre n’ont pas cessé. Depuis 2012, il est privé de tout contact avec les autres détenus et avec ses proches, qui lui rendaient visite et lui apportaient les médicaments dont il avait besoin. Pendant plus de six ans, Jabha est resté détenu sans avoir été jugé. Finalement, le 6 octobre 2016, la Chambre d’accusation a annulé l’ensemble de la procédure judiciaire visant Mohamed Ahmed et ordonné sa remise en liberté [1].
Néanmoins, lors d’une session de l’Assemblée nationale statuant sur la libération de Mohamed Ahmed, le premier ministre Abdoulkader Mohamed Kamil s’est fermement opposé à sa remise en liberté en déclarant : « Tant que je suis aux affaires, je ne laisserai pas sortir ce criminel de la prison »  [2]. Une menace que le premier ministre a mise à exécution puisqu’en décembre 2016, alors que la justice avait annulé toute la procédure à son encontre, Mohamed Ahmed aurait été exfiltré du pénitencier de Gabode et serait désormais détenu à Nagad. Le Centre de rétention administrative de Nagad, qui n’est pas géré par l’Administration pénitentiaire, est surtout connu comme étant un haut lieu de la torture et des incarcérations illégales ; il est donc placé en dehors de toute légalité [3].
Dans l’examen de 2011 sur Djibouti, le Comité contre la torture a souligné l’investissement de plusieurs organisations non gouvernementales dans leurs luttes pour dénoncer les abus et violation des droits de la personne dont est victime le prisonnier politique [4]. C’est au travers de ce cas emblématique que des organismes ont réussi à dénoncer auprès de la communauté internationale la recrudescence, depuis près de 20 ans, de la détention arbitraire et des allégations de torture et d’autres mauvais traitements en détention.

Contexte

Depuis son indépendance en 1977, le pays n’a connu en quarante ans que deux présidents, Hassan Gouled Aptidon et Ismaïl Omar Guelleh. Le contrôle par le gouvernement s’étend jusqu’à autoriser un seul organisme de radiodiffusion à portée nationale et jusqu’à la quasi-totalité des emplois qui dépendent de l’État. Entre la main de fer de l’État et la misère sociale, l’annonce de la réforme constitutionnelle permettant au président Ismaïl Omar Guelleh de se maintenir au pouvoir pour un troisième mandat consécutif a entraîné en 2011 les plus grands rassemblements contestataires. Le gouvernement les a violemment réprimés, et de nombreuses personnes ont été arrêtées et torturées. Parmi elles se trouvaient des citoyens ordinaires, des militants politiques, mais également des membres des partis d’opposition. Les défenseurs des droits humains n’ont pas non plus été épargnés, puisque ceux qui osaient dénoncer à l’étranger ces violations étaient soumis à d’incessantes intimidations.
En ratifiant la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants (CCT) en 2002, le pays s’est officiellement engagé à lutter contre ces pratiques. Bien qu’interdites, elles sont couramment utilisées par les forces de sécurité djiboutiennes durant la garde à vue dans les commissariats pour réprimer et punir les voix dissidentes [5].
Le Comité contre la torture déplore une situation d’impunité assurée par les autorités, en violation aux engagements découlant de la ratification de la CCT. Face aux nombreux cas de torture et autres traitements cruels qui continuent d’être signalés, cet État engage peu de mesures concrètes, comme des enquêtes approfondies pouvant conduire à la sanction des auteurs qui sont membres des forces de l’ordre. Cette inertie de l’État se révèle aussi, comme le constate le Comité, dans la présentation du rapport initial avec un retard de sept ans, autre obligation issue de la CCT. De même, Djibouti n’a pas reconnu à ses ressortissants le droit de plainte individuelle transmise au Comité, aussi prévue par la CCT [6].
L’ACAT Canada réprouve la détention illégale et arbitraire de Mohamed Ahmed et dénonce les pratiques de torture et de mauvais traitements qu’il a subis durant sa détention. Pour cette raison, nous vous invitons à interpeller le président de la République de Djibouti, Ismaïl Omar Guelleh, pour exiger de lui, d’une part, l’application de la décision de la justice, à savoir la mise en liberté de Mohamed Ahmed, et, d’autre part, pour obtenir l’ouverture d’une enquête sur les allégations de torture dont il a été victime.

Sources

ACAT France. 2013. Un monde tortionnaire – fiche sur Djibouti : www.acatfrance.fr/un-monde-tortionnaire/Djibouti [5]
ACAT France. 2017-02-24. Un opposant maintenu en prison malgré l’annulation de sa procédure judiciaire il y a 5 mois :
www.acatfrance.fr/actualite/un-opposant-maintenu-en-prison-malgre-lannulation-de-sa-procedure-judiciaire-il-y-a-5-mois [1]
Association pour le Respect des Droits de l’Homme à Djibouti. 2016-12-02. Brève 875 : www.ardhd.org/affinfo.asp?articleID=16715 [3]
Comité contre la torture. 2011-12-22. Observations finales du Comité contre la torture sur Djibouti. CAT/C/DJI/CO/1 : http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CAT/C/DJI/CO/1&Lang=Fr [6]
Haut-commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies. 2011-11-02. Le Comité contre la torture entame l’examen du rapport du Djibouti : http://newsarchive.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=11560&LangID=F [4]
Ligue djiboutienne des droits humains. 2017-01-01. Jabha Acte II. Communiqué de presse : http://www.lddh.net/jabha-acte-ii/ [2]


Appel à l’action à Djibouti : Mode d’emploi pour agir

Pour faire suite à l’étude de cas présentée ci-haut, agissez!
Premièrement, signez et ajoutez votre nom sur la lettre. Ensuite expédiez une copie de cette lettre à l’adresse principale indiquée en haut.
Envoyez aussi une copie conforme (C.c.) à l’adresse secondaire.

Destinataire :
Son Excellence Ismaïl Omar Guelleh
Président de la République
Palais présidentiel
BP 6 Djibouti Ville
République de Djibouti
C.c. :
Ambassador Mohamed Siad Doualeh
Embassy of the Republic of Djibouti
1156 15th Street NW, Suite 515
Washington, DC 20005, USA