Au Gabon, la dictature exerce une répression sur les activistes qui dénoncent les effets du régime en place. Cette répression prend la forme d’arrestations arbitraires, de violences policières et de détentions préventives abusives dans des conditions de vie dangereuses pour la santé des prisonniers. Bertrand Zibi et plusieurs autres ont fait les frais de ces mesures. Nous avons discuté avec l’un d’eux, Hervé Mombo Kinga, alias Ya MombKing, arrêté pour « outrage au président » un an après les élections présidentielles, parce qu’il continuait de dénoncer le régime.
Hervé Mombo Kinga raconte ce pour quoi il se bat pacifiquement : « Les populations sont malades, on n’est pas éduqué comme il se doit, les enfants meurent à l’accouchement en grand nombre… Donc vous voyez que cette dictature fait en sorte qu’on n’arrive pas à évoluer comme population… » Son indignation l’amène à agir pour informer les populations des effets de la dictature. Plusieurs activistes dénoncent la situation sur YouTube et Facebook. Hervé Mombo Kinga rassemble ce matériel et le diffuse à des groupes qui n’ont pas les moyens technologiques pour se tenir au courant : « Je projetais, puisque les populations au niveau du Gabon n’avaient pas les capacités de suivre ces interventions des activistes, donc moi je regroupais tout ça, et je le diffusais gratuitement aux populations. »
Puis le soir du 27 août 2017, un an jour pour jour après les élections de 2016 ayant causé émeutes et fusillades, Hervé Mombo Kinga se préparait à aller chercher son projecteur pour présenter une conférence de Jean Ping, chef de l’opposition. Un homme en civil l’a alors accosté pour lui ordonner de le suivre sans faire de bruit. Pensant être kidnappé, le militant est allé alerter ses parents, qui vivaient juste à côté. Quand il est ressorti, les policiers l’attendaient et l’ont arrêté de façon rigide en le tirant par la ceinture. Dans une manœuvre visant à déjouer les partisans d’Hervé Mombo Kinga et sa famille, la police a pris la route d’un commissariat pour en fait le conduire au CÉDOC, une prison de l’immigration, où il restera durant quatre jours avant d’être transféré à la prison centrale de Libreville.
À Libreville, il passe les deux premiers mois de cette détention préventive abusive en cellule. Hervé Mombo Kinga raconte comment il a personnellement vécu ce temps : « Oui là, la torture, moi je l’ai vécue. Le fait de dormir sur le béton dans une cellule qui n’a pas d’eau, il n’y a pas d’électricité, qui n’a pas de lit, qui n’a pas le moustiquaire, parce qu’au Gabon c’est les moustiques tous les jours, imaginez quelqu’un qui dort là-dedans pendant deux mois vous faites tout là, vous mangez là, vous faites des besoins là pour aller aux toilettes, c’est là et les déchets… encore j’ai été obligé de développer des astuces, des stratégies pour éviter que ces odeurs-là… parce que même seulement les odeurs-là, ça peut tuer, ça peut rendre malade… euh donc ça, on appelle ça la torture. Ce n’est pas parce que on va me donner des coups de matraque ou bien on va me mettre sur une chaise électrique ou bien quoi ? Non, à partir du moment qu’on va vous donner une cellule comme ça, c’est déjà de la torture. […] imaginez-vous être là-dedans, y’a pas de toilettes, tout est là, vous faites tout là, vous mangez là, vous faites tout là. Imaginez comment c’était répugnant. On prend un être humain et on vous humilie comme ça. »
Les faits sont éloquents : quatre détenus dans une cellule de 2 mètres sur 1,5 mètre, qui recevaient un seul repas par jour, vivaient dans des conditions hygiéniques manifestement lamentables, qui étaient surveillés et à qui on interdisait de parler leur langue maternelle pour éviter l’échange d’informations. Avec ces traitements inhumains et dégradants, le Gabon ne respecte pas ses engagements internationaux, parce qu’il a ratifié la Convention contre la torture ou peines et traitements cruels, inhumains et dégradants en 2000, de même que son Protocole facultatif, ou OPCAT, en 2010.
Une semaine après le transfert d’Hervé Mombo Kinga, d’autres activistes arrivent : « Sept jours après, trois autres activistes sont arrivés en même temps, donc monsieur Frédéric Massavala Maboumba, qui est sorti maintenant, et monsieur Pascal Oyougou. Puis l’autre, là, monsieur Odjah Nere, qui est venu de façon illégale sans mandat de dépôt, il est venu clandestinement sans que ne le sachent ni sa famille ni les populations, personne ne savait qu’il était arrêté. »
Durant cette détention, on l’auditionne, cherchant à savoir pourquoi il fait ce qu’il fait : « Une juge m’avait demandé pourquoi j’avais cette animosité envers le président de la République. Moi, je lui ai répondu que non, en réalité ce n’est pas moi, mais l’animosité c’est lui ! »
Hervé Mombo Kinga sera ensuite transféré au quartier d’une capacité de 16 personnes, auxquelles on en ajoute 10 à cause de la surpopulation. Même s’ils sont surpeuplés, les quartiers donnent un peu plus d’espace et de commodité. Là, les prisonniers peuvent recevoir des médicaments, de l’eau ou de la nourriture de leurs proches. Un système quand même inéquitable quand les proches ne peuvent aider : « Imaginez quelqu’un qui n’a personne, il se contente de ce que la prison donne, la prison ne donne même pas le médicament, la prison ne donne pas de l’eau potable, les gens boivent de l’eau, je peux dire à la limite que c’est une eau empoisonnée, parce qu’on la garde dans une fosse et puis on vous sert ça, hein, c’est pas sérieux, on peut garder une eau dans une cuve en plastique une cuve propre, mais l’eau qu’on donne aux prisonniers, on la garde dans une fosse qui n’est pas saine. Beaucoup tombent malades. De plus, les prisonniers au Gabon ne sont pas correctement nourris. Vous voyez la cuisse de poulet, on la coupe en quatre morceaux, on donne un morceau à chaque prisonnier et on vous donne ça cru, on vous donne ça de façon, euh, ce n’est pas préparé, on vous donne ça cru comme ça, c’est vous-même qui allez trouver le feu, la marmite, de l’eau et de l’huile pour préparer ça. » Ces iniquités créent un climat de violence, de taxage et d’abus sexuels entre détenus. À sa sortie, le militant rencontra le chef de l’opposition, Jean Ping : « Il faut qu’on dénonce les mauvaises conditions. Moi-même, je lui ai dit que cette prison-là, c’est deux choses, soit vous la détruisez quand la dictature sera finie ou bien vous gardez ça comme un musée pour que les gens continuent à se souvenir de la dictature. »
Hervé Mombo Kinga sera libéré 17 mois après son arrestation, sans jugement, avec un dossier vide : « Vous n’êtes pas jugé et puis, à la fin, on dit vous êtes non coupable, mais c’est long, c’est beaucoup, moi, si on m’avait jugé dès le départ, moi je sais que je suis en train de purger une peine de 17 mois […] c’est même pas normal, moi je sais que quand on vous arrête, on vous juge et puis on vous donne votre peine. »
Petit pays africain colonisé par la France au milieu du 19e siècle, le Gabon a été un territoire français d’outre-mer à partir de 1946, mais a obtenu son indépendance en 1960. Toutefois, le Gabon dépend toujours de la France sur le plan économique et militaire. L’exploitation pétrolière, forestière et minière par des compagnies françaises se poursuit, malgré l’indépendance du pays.
En 1967 arrive au pouvoir le dictateur Omar Bongo Ondimba. Celui-ci instaure une structure monopartite permettant son maintien à la présidence en dépit des élections subséquentes, jusqu’à sa mort en 2009. Le Gabon sera dirigé ensuite par son fils, Ali Bongo Ondimba, qui installe un climat de terreur.
Hervé Mombo Kinga dénonce le demi-siècle de dictature et parle du chef de l’opposition, Jean Ping, comme du président élu. En effet, le trucage de scrutin est pratique courante au Gabon, et la majorité de la population compte quand même sur Jean Ping pour renverser la dictature.
Il raconte : « Nos grands-parents ont été les esclaves des Français. Par l’entremise de la dictature… mon papa et ma maman eux aussi, ils ont vécu ça… vous voyez, moi, j’arrive et je viens vivre aussi cette dictature-là. Et actuellement, quand je vous parle, mon fils m’a remplacé à la prison. Il a pris deux ans, donc ce sont les mêmes méthodes-là qui continuent. Juste pour me freiner, pour faire en sorte que je ne puisse pas me lever et dénoncer. Donc mon fils a fait des petites gaffes, mais ça ne lui donnerait pas cette peine de deux ans… c’est impossible, c’est à moi qu’ils veulent faire du mal. »
Dix-sept mois de prison pour Hervé Mombo Kinga et deux ans pour son fils. Le militant est résolu à continuer de dénoncer le régime en place : « Je suis celui qui s’est levé un matin, qui a pris son téléphone, qui a créé sa page Facebook et qui a commencé à dénoncer la dictature, pendant que les autres sont dans leur maison à avoir peur. Moi, je suis celui qui s’est levé très tôt. […] mais quand on a fait du bruit, les autorités disent : il faut le faire partir, parce que ça fait trop de bruit, vous voyez. »
Pour l’ACAT Canada, le contexte gabonais de la torture et des traitements dégradants est inacceptable de nos jours : arrestations arbitraires, détention préventive abusive et conditions de vie dégradantes en prison. En conséquence, l’on peut considérer les activistes comme des éducateurs et des éducatrices de la société civile. Car il faut former une société civile « pour faire du bruit » et tenir tête à la tyrannie étatique qui menace la dignité.
Souhaitons ensemble que des actions concrètes soient entreprises au Gabon, et dans toutes les dictatures, en faveur des droits humains.
Propos recueillis par Nancy Labonté, coordonnatrice