Cas étudié par Danny Latour.

Depuis la révolution iranienne de 1979, les progrès en matière de droits de la personne furent difficiles. Cette révolution s’est soldée par la prise du pouvoir politique par le clergé chiite mené par l’Ayatollah Khomeiny et la mise en place d’un régime théocratique utilisant les mêmes techniques de répression que l’ancien régime monarchique. Encore aujourd’hui, le conservatisme religieux du régime mis en place par Khomeiny entrave considérablement le développement des droits de la personne, et ce, malgré la ratification de nombreux traités internationaux à cet effet. Les victimes sont nombreuses : tout opposant politique au régime, les défenseurs des droits de la personne et toutes les communautés religieuses ne relevant pas de l’Islam chiite. Toutefois, ce sont les femmes qui sont les plus visées, formant la portion des victimes du régime la plus large et la plus silencieuse. Pour souligner ce fait, nous allons aborder le cas de Mme Homa Hoodfar, une des nombreuses victimes de l’intolérance du gouvernement iranien.

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Le cas de Mme Homa Hoodfar

Citoyenne canadienne, irlandaise et iranienne, Mme Hoodfar vit à Montréal depuis 30 ans [1]. Comme de nombreuses personnes accueillies au Canada, Mme Hoodfar a eu une vie mouvementée. Née en Iran, elle quitte sa terre natale, alors sous le Régime de l’Ayatollah Khomeiny ; elle poursuit des études supérieures en Occident, puis décide de s’intégrer aux valeurs canadiennes. Sa curiosité intellectuelle l’amène à étudier les mouvements sociologiques aux Moyen-Orient, elle obtient un doctorat en Anthropologie sociale à l’Université du Kent et devient par la suite professeure émérite d’anthropologie et de sociologie à l’Université Concordia. Son champ d’expertise touche le développement sociologique des pays du Moyen-Orient avec une attention spéciale à la sociologie du genre [2]. Par sa réussite, son engagement collectif, sa culture et les connaissances qu’elle transmet aux Canadiens et aux citoyens du monde à travers ses recherches, Mme Hoodfar incarne un exemple de la réussite du multiculturalisme et montre que le destin d’une personne n’est pas limité par son genre ou son origine ethnique.
En février 2016, Mme Hoodfar partait pour quelques mois en Iran afin de visiter des membres de sa famille et effectuer « des recherches […] à la bibliothèque parlementaire de Téhéran » [3]. Toutefois, le malheur la guettait, des membres des forces gouvernementales procédèrent à son arrestation le 10 mars 2016 [1]. Des conservateurs proches du gouvernement la soupçonnent d’appartenir à un « réseau de conspiration féministe » et de vouloir « commencer une révolution féministe » [3]. Elle est assignée à domicile, puis elle est de nouveau arrêtée et enfermée le 6 juin pour être par la suite libérée le 26 septembre en raison de considérations humanitaires dues à la dégradation de sa santé et des pressions diplomatiques [4]. Malgré cela, le gouvernement, qui avait déposé des accusations contre elle, soit de « collaborer avec un gouvernement hostile » et de « propagande contre l’État », n’a toujours pas exonéré Mme Hoodfar.  Le procureur a justifié la dernière charge en accusant Mme Hoodfar de « [participer à] des activités féministes » [5]. Le juge, Abolqasem Salavati, qui présidait son procès ayant débuté peu de temps avant sa libération, a refusé d’établir un jury, de présenter des témoins, d’accepter l’avocat choisi par Mme Hoodfar et n’a pas permis à Mme Hoodfar d’accéder à son dossier pour préparer sa défense. Mme Hoodfar était détenue à la tristement célèbre prison politique d’Evin – là ou une journaliste canadienne, Zahra Kazemi, a déjà perdue la vie suite à la torture et l’imposition de traitements cruels, inhumains et dégradants. Suite à son retour, et malgré sa joie apparente, les proches de Mme Hoodfar ont souligné son état de santé préoccupant et la présence apparente de séquelles liées à son emprisonnement. Il existe une documentation volumineuse basée sur les récits d’anciens détenus de la prison d’Evin qui témoignent des mauvais traitements, de la torture et des pratiques cruelles, inhumaines et dégradantes qui y règnent. Ainsi, il ne fait nul doute aux yeux de la communauté internationale de l’incapacité du gouvernement iranien à mettre en place un système carcéral capable de respecter les traitements minimums nécessaires à la préservation de « la dignité inhérente à la personne humaine » et de sa négligence à instituer des pratiques de détention conformes aux normes internationales et constitutionnelles de l’Iran.
Le caractère odieux de la situation et la souffrance imposée à Mme Hoodfar ont d’ailleurs semé la consternation internationale au point où 22 ex-rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont interpellé les représentants de l’Iran aux Nations Unies par une demande formelle rappelant à l’Iran son obligation de respecter ses engagements internationaux et de se conformer aux exigences de son propre droit [6].
La situation a pris une tournure d’autant plus pressante depuis que des membres de la société civile suggèrent, eu égard au caractère démesuré et absurde des accusations portées contre Mme Hoodfar, que son arrestation aurait été une excuse utilisée par l’Iran visant à forcer le Canada à procéder à l’échange de certains réfugiés ou prisonniers iranien en territoire canadien [9]. Une théorie qui semble bien fondée en raison de nombreux récits ayant paru dans les journaux depuis quelques années. Si cette allégation venait à être prouvée, les conséquences seraient graves. En effet, cela impliquerait que Mme Hoodfar était perçue par les autorités iraniennes comme un bien marchand ce qui est contraire aux normes les plus fondamentales du droit international.

Droit applicable

Cette demande de la part d’ex-rapporteurs spéciaux tombe à point. Elle constitue un avertissement formel que le comportement de l’Iran risque de créer un préjudice international qui pourrait entrainer des conséquences importantes.
Sans compter les preuves écrasantes de l’utilisation de pratiques cruelles, inhumaines et dégradantes dans la prison d’Evin, une analyse partielle des évènements entourant l’arrestation et le dépôt d’accusations envers Mme Hoodfar permet de dégager de nombreuses atteintes à ses droits et libertés fondamentales ainsi qu’au droit international. À cet effet, considérant : la détérioration dramatique de la santé de Mme Hoodfar incontestablement liée à ses mauvaises conditions de détention ; l’arbitraire des charges retenues contre elle ; la partialité évidente du juge Abolqasem Salavati qui a imposé des procédures inéquitables à Mme Hoodfar en lui refusant l’accès à un avocat de son choix, en empêchant l’accès public aux procédures et en refusant la formation d’un jury ; le caractère discriminatoire et démesuré des accusations portées contre elle, l’appréciation générale des faits et d’autres preuves circonstancielles qui laissent penser hors de tout doute que Mme Hoodfar était soumise à des traitements cruels, inhumains et dégradants ; et en l’absence d’intention d’indemniser Mme Hoodfar suite à sa libération ; il est clair que l’Iran a gravement contrevenu aux articles 7, 9, 10, 14 et 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qu’il a ratifié depuis le 24 juin 1976 [7] et a de nombreuses autres normes impératives et coutumières liées à la protection des droits de la personne ainsi qu’aux articles 35, 39, 165 et 168 de sa propre Constitution [8].
Enfin, si le Canada peut difficilement trainer l’Iran devant la Cour internationale de justice, puisque ce pays ne reconnait pas la compétence de la cour, il sera ardu d’obtenir réparation par la voie judiciaire. Dans une période où le gouvernement iranien essaie de rétablir sa réputation internationale, de s’ouvrir sur le monde et de forger de nouvelles alliances commerciales, cet évènement tombe comme un cheveu sur la soupe. Non seulement l’Iran cause préjudice aux États membres du PIRDCP en raison de sa négligence et des pratiques cruelles de ses représentants, mais le pays tenterait toujours d’enlever des individus d’autres nationalités afin de procéder à des échanges politiques. La situation est grave, la société civile et les États doivent se lever pour exprimer leur opposition face à l’injustice auquel est soumise Mme Hoodfar ainsi que les nombreuses autres victimes de la négligence et du comportement belliqueux de cet État.

Sources

Concordia University. Faculty of Arts and Science – Homa Hoodfar, PhD. https://www.concordia.ca/artsci/cissc/faculty.html?fpid=homa-hoodfar [2]
Dusseault, Anne-Marie. 22 septembre 2016. La professeure Homa Hoodfar, un « pion politique », selon le journaliste Mohamed Fahmy. Dans Les Nouvelles de Radio Canada. http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/International/2016/09/22/007-fahmy-hoodfar-iran-egypte-canada-prison-trudeau-harper.shtml [9]
International Society for Iranian Studies et Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. 2014. Constitution of the Republic of Iran. 38p. http://www.wipo.int/edocs/lexdocs/laws/en/ir/ir001en.pdf [8]
Marquis, Mélanie. 30 août 2016. La santé de la Canadienne Homa Hoodfar, détenue en Iran, se détériore. Dans La Presse. http://www.lapresse.ca/actualites/201608/30/01-5015435-la-sante-de-la-canadienne-homa-hoodfar-detenue-en-iran-se-deteriore.php [5]
Messier, François. 26 septembre 2016. Homa Hoodfar recouvre sa liberté. Dans Les Nouvelles de Radio Canada. http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/International/2016/09/26/005-homa-hoodfar-liberee-iran.shtml [4]
Nations Unies. 23 mars 1976. International Covenant on Civil and Political Rights, UNTC/RTNU. http://www.ohchr.org/en/professionalinterest/pages/ccpr.aspx [7]
Neve, Alex. 14 septembre 2016. The world must step up for Homa Hoodfar. Dans The Globe and Mail. http://www.theglobeandmail.com/opinion/the-world-must-step-up-for-homa-hoodfar/article31861183/ [1]
Rail, Geneviève. 19 septembre 2016. Homa Hoodfar : celle dont Trudeau ne prononce pas le nom. Dans La Presse. http://www.lapresse.ca/debats/votre-opinion/201609/16/01-5021225-homa-hoodfar-celle-dont-trudeau-ne-prononce-pas-le-nom.php [6]