1400 plaintes par an en moyenne depuis presque 10 ans, 4 condamnations en 8 ans ! Malgré les déclarations, les signatures de traités de protection des droits des personnes, l’État peine à enrayer le phénomène.

Vous pouvez agir : Appel à l’action

Le nombre de plaintes augmente et l’impunité persiste toujours comme le constatent encore cette année des instances internationales. Dans un rapport réalisé en 2014 pour Amnesty International, 64 % des Mexicains interrogés craignaient d’être torturés s’ils étaient placés en détention.
A nouveau en 2015, le Comité des disparitions forcées aux Nations unies et rapporteur spécial à l’ONU sur la torture, soulignent le recours généralisé à la torture et même sa recrudescence. Champion du « nickel institutionnel » grâce à la ratification de presque toutes les conventions internationales et à l’adoption de lois plutôt progressistes, le Mexique échoue, faute de volonté politique réelle, à prévenir sur le terrain les brutalités militaires et policières et à les punir.

1 400 plaintes pour torture par an !

Entre 2006 et 2014, le nombre de plaintes enregistré par la CNDH a été en moyenne de 1 400 plaintes par an au niveau fédéral – un chiffre nettement en deçà de la réalité, beaucoup de victimes n’osant pas porter plainte. Toute personne arrêtée et détenue risque d’être soumise à des tortures ou mauvais traitements. Les personnes suspectées d’appartenir au crime organisé sont particulièrement exposées. Le plus souvent, ce sont des personnes aux faibles ressources économiques et socialement marginalisées ou discriminées (migrants, communautés indigènes, mineurs en difficulté). Elles constituent des coupables faciles à fabriquer dans un système où la communication sur le taux élevé de résolution des affaires prime sur la preuve scientifique des faits.
Les manifestants, ou même ceux qui les observent,  les journalistes et les défenseurs des droits de la personne, sont aussi particulièrement exposés, quand ils gênent les autorités ou les corporations multinationales.

Une impunité généralisée

D’après le Conseil fédéral de la magistrature, seules quatre condamnations ont été prononcées entre 2005 et 2013. En 2013, l’État de Chihuahua n’avait procédé à aucune inculpation pour torture depuis 2000.
En cause : des juges qui n’ordonnent pas d’enquête en cas d’allégation de torture, des avocats commis d’office qui couvrent les atteintes aux droits de leurs clients, des médecins qui dissimulent les marques de torture a posteriori.
Dans son étude sur le pays, L’ACAT France souligne que de plus en plus, les personnes se tournent vers d’autres instances. En  2012, c’est du Mexique qu’émanait le plus grand nombre de plaintes (1 800) adressées à la Commission interaméricaine des droits de la personne. Depuis 2009, cette cour a prononcé cinq condamnations contre le Mexique pour violation des droits humains et torture. En mars 2012, une première plainte a été déposée devant le Comité contre la torture de l’ONU concernant quatre hommes détenus au secret et torturés par des militaires à Playas de Rosarito (Basse-Californie) en juin 2009 et maintenus en détention préventive depuis. En septembre 2014, des ONG ont présenté au procureur de la Cour pénale internationale (CPI) un rapport concernant 30 cas, impliquant 95 victimes, de violation grave des droits de la personne (dont des tortures), survenues entre 2006 et 2012 dans cette région afin de solliciter une enquête pour crimes contre l’humanité.
Cette année, le Mexique a contesté les observations faites sur la situation et déclaré avoir pris des mesures pour interdire la torture dans les centres de détention. On ne peut qu’être surpris qu’une telle décision arrive 10 ans après que ce pays ait ratifié la Convention contre la torture qui l’oblige à interdire la torture dans tous les lieux sous responsabilité et la sanctionner. En mars 2015, le Mexique a nommé Arely Gómez González au poste de procureure générale au niveau fédéral. Cette dernière a l’occasion d’adopter une position forte et soutenir les droits de personnes à ne pas être torturées et punir les coupables.
Les violations des droits peuvent se poursuivre tant que des mesures réelles pour sanctionner et réformer en profondeur les comportements répréhensibles des forces de sécurité et des opérateurs de justice en cause ne sont pas mises en œuvre fermement par un État.

Sources :

ACAT France. 2015. Fiche sur le Mexique. Dans Un monde tortionnaire : https://acatfrance.fr/un-monde-tortionnaire/mexique-rapport-2015
ACAT France. 2015. Silvia Méndez, un visage de la lutte contre la torture et les disparitions forcées au Mexique. Sur la page : http://www.acatfrance.fr/actualite/silvia-mendez–un-visage-de-la-lutte-contre-la-torture-et-les-disparitions-forcees-au-mexique
Amnesty International. 2014. Au Mexique, la torture est illégale. Et pourtant…. Sur la page : http://www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Stop-Torture/Videos/Hors-de-toute-mesure-stop-la-torture-au-Mexique-12470
Nations unies et Juan E. Méndez. 2014 (29 décembre). Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : Mission au Mexique. Sur la page : http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/HRC/28/68/add.3


Vous pouvez agir : Action Mexique-LETTRE-août 2015


Étude de cas

HISTOIRE DE JOSÉ ROLANDO DE LA CRUZ

Le 1er mars 2014 vers 15 heures, José Rolando Pérez de la Cruz, 21 ans, et son épouse, Lucía Pérez Hernández, rentrent chez eux à Acala (Chiapas) quand leur chemin croise celui de huit policiers municipaux. Sans invoquer de motif d’arrestation, les agents embarquent violemment le jeune homme dans leur fourgon.
La grand-mère du détenu, première à se rendre au commissariat municipal, croit apercevoir son petit-fils dans le couloir, le nez en sang et de l’écume aux lèvres. Elle alerte immédiatement la mère et l’épouse de José Rolando. Quand ces dernières arrivent sur place, on les informe qu’il a été conduit au centre hospitalier puis qu’il est décédé.
Au Mexique, les forces de sécurité procèdent à de nombreuses arrestations arbitraires (sans mandat ni flagrant délit) et recourent de façon généralisée à la torture sans être inquiétées ni soumises à de vrais contrôles. Au cours du premier trimestre 2014, au moins deux autres personnes sont mortes de façon suspecte sous la garde de policiers municipaux au Chiapas.

Premières conclusions expéditives

Les résultats de l’autopsie font état d’une asphyxie par pendaison. Ils ne mentionnent aucune lésion externe ou interne. Les autorités ont alors allégué que José Rolando s’était suicidé et que les policiers n’étaient pas en cause.
Plusieurs témoignages contredisent cette version officielle. José Rolando n’a été vu au commissariat municipal que deux heures après son arrestation, traîné pieds nus et sans chemise par un policier. Où était-il avant ? L’épouse de José Rolando atteste de la violence de l’arrestation. Plusieurs personnes qui ont vu le corps post-mortem témoignent de la présence d’ecchymoses aux côtes, sur une pommette, aux sourcils et de sang dans le nez.
Les forces de sécurité mexicaines ne manquent généralement pas de complices pour masquer leurs atteintes aux droits humains. Des agents des ministères publics couvrent des arrestations et des détentions arbitraires. Des médecins légistes ne rapportent pas des marques plausibles de torture.

Toujours aucune enquête pour torture ayant entraîné la mort

Un an après les faits, seul un des huit policiers est poursuivi, pour « abus d’autorité ». Le ministère public, qui avait un temps accepté d’ouvrir une enquête pour « homicide », n’a encore rien fait en ce sens. Aucune investigation pour torture n’a été lancée.
L’impunité pour ce type de crime est la règle au Mexique. Entre 2005 et 2013, il n’y a eu que cinq condamnations pour torture alors que les plaintes se comptent par milliers. Pour les familles pauvres et isolées comme celle de Rolando, seule la pression médiatique et internationale permet d’empêcher qu’une affaire de violation des droits de de la personne ne soit passée sous silence et reste impunie.
Le Mexique ayant entre autres ratifié la Convention contre la torture des Nations Unies, les autorités sont responsables de la mise en œuvre de l’ensemble des obligations énoncées dans ce texte.  Selon l’article 12 de la Convention et les commentaires du Comité contre la torture des Nations Unies,  les autorités compétentes doivent procéder sans délai à une enquête impartiale lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture y compris en l’absence de trace apparente de violence.