C’est le début d’une véritable reconnaissance de la longue période de préjudices, conséquences des mauvais traitements subis par des Autochtones. Ces victimes de l’époque coloniale ont été contraintes de vivre dans les pensionnats autochtones, véritables camps d’assimilation ethnique. Selon la Commission de vérité et réconciliation, qui a fait enquête sur la situation de mauvais traitements, ces pensionnats ont laissé des taches indélébiles dans l’histoire récente du Canada en matière de droits de la personne. De nombreuses actions collectives ont eu pour base cette situation et ont donné lieu, jusqu’à tout récemment encore en 2018 dans l’affaire Brown c. Canada, à de nombreux accords visant à reconnaître les torts du Canada et à dédommager les Autochtones. Ce texte veut mettre en lumière les mauvais traitements qu’ont subis les Autochtones et examiner si ceux-ci correspondent à la définition du crime de génocide, prévue à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948).
La création des pensionnats
Dès la fin du 19e siècle, le gouvernement de John A. Macdonald instaure des politiques visant à éliminer les gouvernements autochtones, à ignorer les droits des Autochtones et à mettre fin aux traités conclus avec eux. Puis, par un processus d’assimilation, s’enclenche ce qui deviendra la rafle des pensionnats. Ces politiques canadiennes, qui ont perduré pendant tout le 20e siècle, détruiront la culture et la société autochtones, leur identité raciale et religieuse. En 1920, le sous-ministre des Affaires indiennes, Duncan Campbell Scott, soulignait les objectifs de son gouvernement en déclarant au comité parlementaire : « Notre but est de continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Indien au Canada qui n’a pas été intégré à la société » [1].
Contexte de la reconnaissance des mauvais traitements dans les pensionnats autochtones
Toujours selon la Commission de vérité et réconciliation, en établissant les pensionnats autochtones à la fin du 19e siècle, le gouvernement canadien de Macdonald a imposé des politiques d’éducation obligatoire à l’occidentale. Les parents réfractaires à ce type d’éducation et qui refusaient de voir leurs enfants fréquenter les écoles religieuses occidentales étaient déclarés inaptes à la garde de leurs enfants ; ceux-ci étaient alors adoptés par les pensionnats et élevés dans une culture différente de la leur. De plus, à leur arrivée au pensionnat, les frères et les sœurs étaient séparés et les familles, déchirées, ce qui a brisé la transmission de la culture autochtone en fragilisant et en isolant les individus [2].
Les Églises catholique romaine, anglicane, unie, méthodiste et presbytérienne, étaient les principaux groupes confessionnels administrateurs des pensionnats autochtones. Dans ces établissements religieux, les Autochtones se sentaient très seuls et isolés de leur culture. Les édifices étaient situés loin des grands centres, mal isolés et mal entretenus. La nourriture était de mauvaise qualité et offerte en quantité insuffisante. Une discipline sévère régnait ; la vie était très réglementée. Les langues et les cultures autochtones étaient interdites et dénigrées. Pour les Autochtones, l’éducation et la formation technique se réduisaient, la plupart du temps, aux corvées nécessaires à l’entretien et à l’autosuffisance du pensionnat [3].
Les jeunes Autochtones, mal nourris et élevés dans les conditions d’insalubrité, sont devenus susceptibles de développer des problèmes de santé à l’âge adulte. Durant l’épidémie de grippe de 1918 à 1919, beaucoup de pensionnats et de paroisses sont dépassés par le nombre de mortalités [4]. Au pensionnat de Fort St. James, en Colombie-Britannique, les cadavres sont enterrés dans une fosse commune ou deux par deux, sans l’accord des familles et sans même que celles-ci soient avisées [5].
En partenariat, le Canada et les Églises ont même pratiqué des mariages organisés et forcés entre élèves à la fin de leur éducation. Le directeur du pensionnat de Kamloops, A. M. Carion, a même déclaré : « Il me fait plaisir de signaler ici de nouveau que, depuis mon dernier rapport, deux autres couples d’anciens élèves se sont unis par les liens du mariage. Les anciens élèves qui se marient entre eux sont bien plus aptes à conserver les habitudes de la vie civilisée qu’ils ont acquises à l’école » [6].
Trouble de stress post-traumatique (TSPT) de masse : un génocide?
Les agressions sexuelles et les mauvais traitements, de même que la séparation des familles et des communautés ont laissé un traumatisme durable chez les anciens pensionnaires, dont plusieurs ont eu des comportements négatifs d’autodestruction, tels l’alcoolisme et des conduites suicidaires [7]. Ces séquelles dont souffrent les victimes sont, selon le DSM 5, liées à une période de stress acculturatif, de persécutions religieuses et de violences sexuelles qui ont créé un TSPT de masse. Les victimes reproduisent ces violences par transmissibilité intergénérationnelle, instaurant un cercle vicieux [8].
La fermeture des pensionnats en 1990 n’a pas mis fin aux sévices psychologiques, sociaux et économiques. Les séquelles psychologiques et leurs effets négatifs sont présents encore aujourd’hui. Elles se manifestent par une victimisation et une criminalité disproportionnée des Autochtones, par des écarts en matière de revenu, d’éducation et de santé entre personnes autochtones et non-autochtones, et ont des conséquences désastreuses : espérance de vie plus courte, pauvreté, dysfonctionnements familiaux et sociaux. Plus d’un siècle de politique d’acculturation a pratiquement fait disparaître la plupart des langues autochtones. La prise en charge des enfants par les organismes de protection de l’enfance, pour les placer par la suite dans des pensionnats, a mis à l’écart les enfants autochtones de leurs familles, sans tenir compte des impacts. Les mariages forcés et précoces entre Autochtones convertis à la religion ont détruit les valeurs familiales autochtones et les ont restreints à un niveau de scolarité très primaire. Tout cela fait partie des séquelles associées aux mauvais traitements dont les enfants autochtones ont été victimes dans les pensionnats [9].
Selon l’article 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants :
Tout État partie s’engage à interdire dans tout territoire sous sa juridiction d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture telle qu’elle est définie à l’article premier lorsque de tels actes sont commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite.
En vertu de cette responsabilité, non seulement le gouvernement canadien et les Églises sont solidairement responsables de leurs atrocités, mais c’est également le cas de toutes les personnes qui y ont participé de près ou de loin, en tant qu’agents publics de l’État ou à titre officiel ou tacite.
La Cour suprême du Canada dans l’affaire Blackwater c. Plint a démontré que la négligence à l’égard des enfants était institutionnalisée. Le manque de supervision gouvernementale et l’éloignement délibéré des enfants autochtones de leurs familles ont engendré des situations où les enfants ont été victimes d’agressions sexuelles et physiques par des membres des ordres religieux, causant des séquelles physiques et psychologiques. Il a également été établi que « la Loi sur les Indiens impose au gouvernement du Canada une obligation de diligence intransmissible dont l’objet est d’assurer la sécurité et le bien‑être des enfants autochtones placés dans les pensionnats » et que « le gouvernement du Canada et l’Église étaient solidairement responsables du fait d’autrui à cet égard ». Toutefois, les agents de l’État n’ont pas encore fait l’objet de poursuites au criminel et au civil.
Ces mauvais traitements correspondent à la définition d’un génocide au sens de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (CPRCG). En effet, l’article 2 le définit ainsi :
[…] le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe ; b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
Les articles 2b, 2c et 2e de la CPRCG sont manifestement enfreints par les actes d’agression sexuelle commis et ayant causé des dommages physiques et mentaux, par les transferts obligatoires de jeunes Autochtones et les adoptions forcées par les dirigeants des pensionnats, et par les politiques de scolarisation dans des pensionnats insalubres, avec des moyens d’enseignement violents et inadéquats.
En portant une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe par des abus sexuels, de mauvais traitements physiques et une mauvaise nutrition, toutes ces politiques d’assimilation ont causé un TSPT de masse à tout un groupe d’Autochtones. Le Canada a soumis de façon intentionnelle les enfants autochtones à des conditions d’existence inacceptables. Il a également pratiqué un transfert forcé d’enfants autochtones dans les pensionnats en les privant de la sécurité du tissu familial.
Par les politiques du gouvernement Macdonald, le Canada s’est immiscé dans les communautés autochtones en les fractionnant, en les fragilisant, en éloignant leurs enfants et en privant ceux-ci de la protection de leurs proches. En pratiquant des mariages forcés et à un jeune âge entre Autochtones assimilés et catholiques, le gouvernement a détruit les rapports familiaux, empêchant les enfants de créer des liens d’affection avec leurs parents, liens d’attachement essentiels aux bonnes relations interpersonnelles dans la communauté, détruisant celle-ci de façon partielle ou totale. Selon le Protocole d’Istanbul, ces souffrances physiques aiguës qui ont engendré des séquelles psychologiques par le TSPT de masse portent notamment atteinte aux droits protégés sous l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, ainsi qu’aux principes a minima de sécurité et de santé, des droits protégés par le droit international.
Ce qui reste à venir…
La culpabilité du gouvernement de Macdonald et de l’Église a été reconnue dans l’affaire Blackwater c. Plint pour les mauvais traitements dans les pensionnats autochtones. Or, selon les textes juridiques internationaux, il s’agit clairement de l’une des exactions les plus graves contre l’humanité : le génocide. Le nouvel accord de principe de 2018 entre le recours collectif (affaire Brown) et le gouvernement canadien constitue un pas de plus vers la guérison et la reconnaissance des mauvais traitements subis, mais la reconnaissance du crime de génocide est loin d’être gagnée.
Verrons-nous dans le futur une reconnaissance partielle de ce crime atroce si rien n’est fait pour poursuivre les auteurs de ces crimes? En effet, aucune poursuite devant les instances internationales et canadiennes n’a été intentée contre les agents publics de l’État qui ont appliqué de façon directe ou indirecte les politiques du gouvernement de l’époque et ceux qui les ont perpétuées de façon directe et indirecte.
La Commission de vérité et réconciliation avait pour but de faciliter la réconciliation entre les victimes vivant avec des séquelles post-traumatiques causées par des mauvais traitements, leurs familles, leurs communautés et la population canadienne. Elle a bien fait évoluer les choses pour le processus de réparation et de compréhension de la problématique au Canada. Il reste toutefois à convaincre la communauté internationale du bien-fondé de la constitution d’un tribunal extraordinaire pour juger ces agents publics pour crime contre l’humanité.
Réflexion de Marie-Michèle Lemieux-Ouellet, administratrice
Sources
Allard, P. s.d. Cross in the Wilderness. Journal du père Allard, p. 219. [5]
American Psychiatric Association. 2015. DSM-5 – Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. [8]
Commission de vérité et réconciliation du Canada. 2015. Ce que nous avons retenu : Les principes de la vérité et de la réconciliation. Ottawa : Bibliothèque et Archives Canada. [1] [2] [3] [4] [7] [9]
Gouvernement du Canada. 2019. Commission de vérité et réconciliation du Canada. www.rcaanc-cirnac.gc.ca/fra/1450124405592/1529106060525
Ministère des Affaires indiennes. 1909. Rapport annuel du ministère des Affaires indiennes. [6]