La pandémie de COVID-19 a amené nos gouvernements à décréter des mesures d’isolement pour la majorité d’entre nous. Les règles de confinement volontaire entraînent une quarantaine qui peut nous amener à comprendre le sentiment des personnes détenues ou malades qui sont privées de liberté. Cette situation nous invite aussi à saisir que la gravité de la situation est amplifiée pour les personnes vulnérables.

Nous sommes confinés dans nos domiciles, il est interdit de recevoir de la visite, les parcs sont fermés… mais nous avons la liberté de surfer le web, de déguster un bon cocktail, ou encore d’aller à l’épicerie pour acheter des denrées essentielles, ce qui n’est pas le cas des personnes privées de liberté. Enfin, nous sommes maintenant en mesure d’imaginer ce que signifie être privé de liberté par l’État. Nous pouvons être vraiment solidaires de celles et ceux qui vivent cette situation en confinement involontaire.

Quand on parle de privation de liberté, on fait référence aux établissements de détention, que ce soit le système pénal ou celui de l’immigration, aux hôpitaux psychiatriques, aux établissements de garde fermée des Centres jeunesse et aux Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). S’ajoutent à cette liste, en contexte de quarantaine, les résidences pour personnes âgées.

Tous ces lieux de privation de liberté ont été fermés aux visiteurs pour éviter d’y faire entrer le virus. Or ce virus ne connait ni les frontières ni les murs. Des cas de COVID-19 commencent à éclore dans les prisons [1], et des décès ont été recensés dans des résidences pour personnes âgées – notamment la résidence Eva, à Lavaltrie, qui a été mise sous surveillance policière [2] – et dont plusieurs ont été désignées par les autorités comme des foyers d’infection [3].

Les Nations unies abordent le problème de la pandémie de manière radicale en exigeant la libération des prisonniers non dangereux pour réduire les risques : « […] les détenus les plus âgés et ceux malades, ainsi que les délinquants présentant un risque faible » [4]. Au Québec, nous avons suspendu les peines « de fin de semaine », ou peines discontinues [5] ; en Ontario, on a commencé à libérer certaines personnes pour désengorger les prisons provinciales [6].

Concernant la protection des droits humains en contexte de privation de liberté au Canada, l’enquêteur correctionnel a annoncé que les visites dans les pénitenciers fédéraux étaient suspendues [7]. Cette annonce peut nous faire craindre le pire quant à la pratique de l’isolement préventif : « Au-delà de 15 jours, la pratique serait inconstitutionnelle, violerait la Charte canadienne des droits et libertés et serait “une forme vraiment inhumaine de punition” » [8]. L’isolement cellulaire prolongé des détenus infectés pourrait avoir des conséquences tragiques pour les personnes plus vulnérables, comme celles souffrant de maladie mentale : « L’isolement médical prolongé crée chez les patients des sentiments de colère, de dépression, même des pensées et tendances suicidaires. Dans le contexte carcéral, de tels sentiments ne peuvent qu’être amplifiés » [9].

« Il est indéniable que cette crise exerce une pression énorme sur les responsables des lieux de privation de liberté. Ce qui devrait être clair, c’est que même sous une telle pression, les autorités ne peuvent pas laisser la peur de la contagion mettre en péril les droits humains des personnes privées de liberté » [10].

À la prison de l’immigration, à Laval, des migrants ont commencé une grève de la faim [11]. Le Conseil canadien des réfugiés (CCR) demande la libération de ces personnes incarcérées.

Le coronavirus fera des ravages dans les lieux de privation de liberté si l’on ne prend pas de mesures pour diminuer la population carcérale. À ce sujet, rappelons les Règles minima des Nations unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté, dites « règles de Tokyo », selon lesquelles « les mesures privatives de liberté ne sont pas toujours nécessaires, et les mesures non privatives de liberté devraient être privilégiées. […] Les solutions de remplacement à l’incarcération s’enracinent dans l’idée que la justice pénale n’est pas indiquée dans toutes les circonstances » [12]. D’ailleurs, à l’instar des Nations unies, l’Association des avocats et avocates en droit carcéral du Québec (AAADCQ) exige du gouvernement du Québec la libération immédiate des personnes incarcérées vulnérables ou non dangereuses pour désengorger les établissements, afin que celles-ci puissent « profiter des mesures de distanciation sociale suggérée par les gouvernements » [13].

Ainsi, le premier ministre du Canada a promis qu’il aborderait la question de la pandémie dans les établissements de détention [14] et on commence à voir des libérations [15] [16].

Cette mise en quarantaine volontaire pour cause de pandémie du coronavirus aura eu au moins une conséquence positive, à savoir la prise de conscience de plusieurs d’entre nous de ce que cela signifie « être privé de liberté ».

Réflexion de Nancy Labonté, coordonnatrice

Sources

AAADCQ. 2020. COVID-19 : a-t-on oublié les personnes incarcérées ? Dans le blogue Droit INCwww.droit-inc.com/article26481-COVID-19-a-t-on-oublie-les-personnes-incarcerees [13]

AFP. 2020. L’ONU appelle à libérer des détenus pour éviter « des ravages » en prison. Dans TVA Nouvelles. www.tvanouvelles.ca/2020/03/25/lonu-appelle-a-liberer-des-detenus-pour-eviter-des-ravages-en-prison [4]

Archambault, Héloïse. 2020. COVID-19 : la résidence Eva à Lavaltrie est sous surveillance policière. Dans le Journal de Montréal. www.journaldemontreal.com/2020/03/25/covid-19–des-aines-de-la-residence-eva-sortent-malgre-la-securite [2]

Boutilier, Alex. 2020. Trudeau ‘very concerned’ that COVID-19 could spread in federal prisons. Dans The Star. www.thestar.com/news/canada/2020/03/29/trudeau-very-concerned-that-covid-19-could-spread-in-federal-prisons.html [14]

Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada. Site web. www.oci-bec.gc.ca/index-fra.aspx [7]

Comninos, Alexis. 2020. Covid-19 en prison : entre peur de contagion et respect des droits humains. Dans Le Temps. www.letemps.ch/opinions/covid19-prison-entre-peur-contagion-respect-droits-humains [9] [10]

Labbé, Jérôme. 2020. Le Québec compte trois nouveaux décès liés au coronavirus. Toutes les régions sont maintenant touchées par la pandémie. Dans les nouvelles de Radio-Canada. ici.radio-canada.ca/nouvelle/1687162/coronavirus-bilan-infection-maladie-quarantaine [3]

Labonté, Nancy. 2017. Sans la prison, comment punir ? Sur le site de l’ACAT Canada. acatcanada.ca/sans-la-prison-comment-punir [12]

Lacroix, Antoine ; Thibault, Éric. 2020. COVID-19 : les peines discontinues sont suspendues temporairement. Dans le Journal de Montréal. www.journaldemontreal.com/2020/03/20/covid-19–les-peines-discontinues-sont-suspendues-temporairement [5]

Lauzon, Véronique. 2020. Grève de la faim de migrants en détention. Dans La Presse. www.lapresse.ca/covid-19/202003/25/01-5266464-greve-de-la-faim-de-migrants-en-detention.php [11]

Nadeau, Jean-Philippe. 2020. Des prisonniers libérés en Ontario pour éviter une épidémie de COVID-19. Dans les nouvelles de Radio-Canada. ici.radio-canada.ca/nouvelle/1685681/coronavirus-situation-prison-mesure-protection-hygiene [6] [16]

Nguyen, Michael. 2020. Un criminel est libéré à cause de la pandémie. Dans TVA Nouvelles. www.tvanouvelles.ca/2020/04/04/un-criminel-est-libere-a-cause-de-la-pandemie [15]

Pineda, Améli. 2020. Une vingtaine de détenus présentent des symptômes du coronavirus. Dans Le Devoir. www.ledevoir.com/societe/sante/575312/une-vingtaine-de-detenus-presentent-des-symptomes-du-coronavirus [1]

Radio-Canada. 2020. La Cour suprême du Canada se penche sur l’isolement de détenus. Dans le blogue Droit INCwww.droit-inc.com/article26243-La-Cour-supreme-du-Canada-se-penche-sur-l-isolement-de-detenus [8]