Reza Deghati est un photojournaliste français d’origine iranienne, mondialement connu.  Reza parcourt le monde depuis plus de trente ans. Il a sillonné plus de cent pays, photographiant les conflits, les révolutions et les catastrophes humaines. Nous publions ici quelques extraits d’un article dans lesquels il partage les motifs d’un engagement déterminé qui trouve des racines dans sa propre expérience de la prison, la torture et l’exil. Cet interview a été réalisé par le Centre Primo Lévi, alors que Reza a accepté de devenir membre de soutien de cet organisme, basé à Paris, et dédié aux soins des victimes de la torture et des violences politiques.

  • En effet, depuis 1983, je mène à titre bénévole (assurant aussi souvent un soutien financier) des formations à la photographie dans des camps de réfugiés et des sociétés civiles fragilisées. Ces formations au langage de l’image permettent aux bénéficiaires de passer du statut de victimes passives à celui d’acteurs de leur destin grâce au témoignage de l’intérieur qu’ils partagent ensuite au reste du monde. C’est une réappropriation de leur vie.
  • Il y a d’abord des destructions physiques sous l’effet des bombardements telles que la destruction des infrastructures (maisons, routes, écoles, hôpitaux, …) ou l’atteinte aux personnes (blessés, amputés, …) : ce sont des destructions tangibles et visibles dont on peut témoigner par l’image. Mais les véritables destructions sont invisibles, celle de la destruction de l’âme et de l’esprit. Elles sont liées au traumatisme qui est créé chez les individus qui voient leur maison détruite, les membres de leur famille blessés, ou encore au traumatisme de devoir quitter sa ville, son pays, sa famille, ses amis, et de se retrouver dans une culture inconnue dans laquelle l’exilé est regardé avec méfiance, incompris par l’autre.
  • Un enfant qui voit sa maison détruite, ses parents morts, ses frères et sœurs emprisonnés ou attaqués par la police, ou qui subit lui-même des violences (dans les manifestations et les conflits, on voit de plus en plus souvent des attaques contre les enfants) s’affranchira de son traumatisme en faisant subir ce que lui-même a subi.
  • Tant que nous ne trouvons pas les moyens de rompre ces cycles de violence et de trouver une réponse positive pour canaliser les conséquences des traumatismes subis, il n’y aura pas de fin à cette violence.
  • Mais pour les peuples du Moyen Orient qui subissent depuis des décennies des attaques sous diverses formes, pour les Afghans qui, depuis trente ans, subissent les bombardements de toutes les armées du monde, qu’avons-nous mis en œuvre pour panser les blessures invisibles de générations entières ?
  • (…) jouant ainsi un rôle de « guérisseur national ». Et je pense que les femmes sont majoritairement les plus à même d’être formées à ces outils et de jouer ce rôle, car ce sont de potentielles « mères » et qu’elles ont en elles la capacité de dépasser les conflits, le désir de vengeance, et donc d’interrompre ce cycle de violence. C’est ce que nous avons fait en Afghanistan.
  • Je m’attache à photographier les survivants. Si je le peux, je passe du temps avec les gens que je photographie, au point qu’à un moment, ils « me donnent » la photographie. Je ne la prends pas, ils m’en font cadeau. Peut-être savent-ils intuitivement que je ne le les trahirai pas ?
  • J’ai subi tout ce dont on parle : la prison, la torture, l’exil, l’exode et d’autres blessures que je porte en moi. Je sais combien la photographie et tout ce que je fais m’a aidé, et m’aide à exprimer ma pensée, à dépasser tous ces problèmes.
  • Je me suis attaché, à travers mes photographies, à créer une rencontre entre ceux qui souffrent et ceux qui peuvent aider, car je crois profondément en l’unité de l’Humanité. Je partage la pensée du poète persan du XIIIème siècle, Sa’adi, qui compare l’humanité à un corps. Lorsqu’une partie du corps souffre, même une infime partie, l’ensemble du corps souffre. Ce n’est qu’en prenant soin de cette partie qui souffre que l’ensemble du corps retrouvera son équilibre. C’est notre rôle.

Source : http://www.primolevi.org/reza-photographe-de-lame
Site de REZA : http://www.rezaphoto.org/