En 2019 est exposée au grand jour la radiation du docteur Allan B. Climan par le Collège des médecins du Québec, pour comportements et remarques déplacées envers une patiente. Cette affaire lève enfin le voile sur les abus qui peuvent être commis par le corps médical lors de pratiques gynécologiques et obstétricales.

Trop souvent absentes des préoccupations des États, les violences obstétricales et gynécologiques (VOG) sont encore loin d’être reconnues. En la matière, le Venezuela et l’Argentine sont des figures de proue. Ces violences y sont identifiées et sanctionnées par la loi. D’ailleurs, la loi adoptée par le Venezuela en 2007 sur la violence obstétricale est la première à définir ce concept [1]. Selon ce texte, il s’agit de « l’appropriation du corps et du processus reproducteur des femmes par les personnes qui travaillent dans le domaine de la santé, appropriation qui se manifeste sous les formes suivantes : traitement déshumanisé, abus d’administration de médicaments et conversion de processus naturels en processus pathologiques. Cela entraîne pour les femmes une perte d’autonomie et de la capacité à décider en toute liberté de ce qui concerne leur propre corps et sexualité, affectant négativement leur qualité de vie. » [2]

Lors de suivis gynécologiques, de grossesse ou encore au moment de l’accouchement, les femmes peuvent être victimes de gestes, d’attitudes, de paroles ou d’actes médicaux qui compromettent leur intégrité et leur dignité. Il peut s’agir de paroles dénigrantes, de menaces pour sortir le bébé à l’aide de forceps, d’un toucher vaginal brusque ou de la pratique non consentie d’une épisiotomie – intervention qui consiste à inciser le périnée lors de l’accouchement, pour faciliter la sortie du bébé et éviter les déchirures graves spontanées.

Au cœur de ces violences, c’est le respect du consentement libre et éclairé de la patiente qui est bafoué. Essentiel pour garantir l’autonomie et l’intégrité de l’individu, le consentement est primordial en matière de soins obstétricaux. Selon l’étude Changing Childbirth, menée en 2019 auprès de 2000 nouvelles mamans en Colombie-Britannique, les trois quarts d’entre elles estiment qu’il leur est indispensable de pouvoir prendre les décisions qui concernent leurs grossesses en toute autonomie [3]. Or, les recherches révèlent que la majorité des décisions sont prises par les professionnels de santé [4]. Plus encore, les nombreux témoignages évoquent un respect de leurs volontés différencié selon qu’il s’agit d’un médecin ou d’une médecin [5]. En effet, les patientes révèlent que, lorsque prises en charge par un médecin, elles ont enduré davantage de pressions pour accepter une intervention non voulue et ont déploré un manque de disponibilité de sa part.

La perte d’autonomie de la patiente trouve sa source dans l’exercice d’un double rapport de domination. Premièrement, la femme peut subir la position dominante du corps médical. Depuis la généralisation de l’accouchement hospitalisé dans les années 1970 [6], le personnel médical a pris une responsabilité importante dans la mise au monde des nourrissons. Devenu médical, l’acte se désacralise pour la parturiente, qui devient une patiente. Dans cette situation, la femme peut se retrouver dépossédée de son corps, où les médecins prennent le contrôle de l’accouchement. Deuxièmement, la femme peut être victime de sexisme et de discrimination, car le monde médical reste encore aujourd’hui dominé par un système patriarcal. À ce propos, l’histoire de la gynécologie et de l’obstétrique donne des exemples du manque de considération du corps de la femme. Il faut rappeler que James Sims, l’inventeur du spéculum moderne – appareil servant à ouvrir largement le vagin pour avoir accès à l’utérus –, avait mis au point des techniques de chirurgie vaginale sans anesthésie [7].

La violence basée sur le genre rencontre d’autres vulnérabilités. En effet, cette maltraitance du corps de la femme peut être aggravée en raison de l’âge, du statut économique et même de l’ethnicité. Un sondage mené aux États-Unis auprès de 2700 mamans révèle qu’une femme autochtone sur trois a été victime de mauvais traitements lors d’examens obstétricaux [8].

Les violences commises sont lourdes de conséquences pour les victimes. Physiquement, les VOG peuvent affecter la santé sexuelle, entraîner des incontinences, provoquer des douleurs persistantes, etc. Par exemple, au Canada, plus de 16 % des femmes qui accouchent avec ventouse ou forceps subissent des déchirures profondes du périnée, soit trois fois plus qu’en Espagne et presque cinq fois plus qu’en Belgique [9]. Psychologiquement, l’impact des traumatismes causés affecte durablement la femme. Le sentiment d’humiliation et la perte de confiance en soi peuvent être difficiles à combattre lorsque cette souffrance reste sous silence. Du fait du manque de reconnaissance de ces violences, la guérison du trauma de ces femmes meurtries n’est pas sans difficulté.

Depuis 2014, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) alerte la communauté internationale sur la pratique des VOG. Selon cette organisation, ces violences sont caractéristiques de mauvais traitements, interdits universellement par l’article 16 de la Convention contre la torture de 1984. En effet, ces douleurs ou souffrances, physiques ou mentales, infligées par l’action directe ou indirecte d’un agent ou représentant de la fonction publique en l’occurrence, le personnel des établissements publics de santé – constituent des traitements cruels, inhumains et dégradants [10]. Selon les cas, on pourrait se demander si la patiente n’est pas victime d’actes de torture, par exemple lorsque les violences sont infligées intentionnellement par une personne sadique qui discrimine une femme en raison de son origine ethnique ou culturelle.

L’Avis sur les mauvais traitements et les violences envers les femmes dans les services de soins de santé reproductive avec attention particulière sur l’accouchement, déposé en 2019 auprès de la Rapporteuse spéciale sur la violence faite aux femmes, Dubravka Šimonović, par l’organisme montréalais Regroupement Naissance-Renaissance, alimente le débat sur la reconnaissance des VOG au Canada [11]. Par la suite, la Rapporteuse spéciale a présenté à l’Assemblée générale des Nations unies un rapport mettant en lumière les violations des droits des femmes dans le cadre de la prestation de services de santé procréative. En particulier, elle aborde les violences liées à l’accouchement et les violences obstétricales, ainsi que les causes profondes et les problèmes structurels auxquels il est impératif de s’attaquer afin de mettre un terme à ces mauvais traitements [12].

Au Canada, ces violences peuvent faire l’objet d’une plainte à la police pour harcèlement criminel, voie de fait, ou même voie de fait grave comme agression sexuelle, etc. Si les VOG étaient explicitement condamnées par le Code criminel, elles seraient alors assorties de critères pour la détermination d’une peine proportionnelle au crime. Brisons le silence pour que les survivantes sortent de l’ombre et dénoncent ces mauvais traitements.

Réflexion de Eva Pawlowski, stagiaire

Sources

D’Gregorio, Rogelio Pérez. 2010. Obstetric violence: A new legal term introduced in Venezuela. International Journal of Gynecology & Obstetrics, Vol. 111, Issue 3. afar.info/biblio/detail.php?lang=fr&id=2642 [1] [2]

Dubé, Catherine. 2020. Violences obstétricales : les cicatrices invisibles. Magazine Châtelaine. fr.chatelaine.com/societe/violences-obstetricales-les-cicatrices-invisibles/ [7]

Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). 2019. Panorama de la santé, les indicateurs de l’OCDE. www.oecd.org/fr/sante/systemes-sante/panorama-de-la-sante-19991320.htm [9]

Organisation mondiale de la santé (OMS). 2014. Recommandations de l’OMS sur les soins intrapartum pour une expérience positive de l’accouchement. apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/272434/WHO-RHR-18.12-fre.pdf?ua=1 [10]

Pitre, Marie-Christine. 2020. « J’avais l’impression de n’avoir aucun contrôle » : Qu’est-ce que la violence obstétricale ? La famille et les institutions, Observatoire des réalités familiales du Québec. www.orfq.inrs.ca/javais-limpression-de-navoir-aucun-controle-quest-ce-que-la-violence-obstetricale/ [6]

Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes. 2019. Adoption d’une démarche fondée sur les droits de la personne dans la lutte contre les mauvais traitements et les violences infligés aux femmes dans les services de santé procréative, en particulier les violences commises pendant l’accouchement et les violences obstétricales. undocs.org/pdf?symbol=fr/A/74/137 [12]

Regroupement Naissance-Renaissance. 2019. Avis sur les mauvais traitements et les violences envers les femmes dans les services de soins de santé reproductive avec attention particulière sur l’accouchement. www.ohchr.org/Documents/Issues/Women/SR/ReproductiveHealthCare/Regroupement%20Naissance-Renaissance%20Canada.pdf [11]

Vedam, Saraswathi. 2019. Patient-led decision making: Measuring autonomy and respect in Canadian maternity care. Patient Education and Counseling, Vol. 102, Issue 3. p. 586-594. www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0738399118309601 [3] [4] [5]

Vedam, Saraswathi. 2019. The Giving Voice to Mothers study: inequity and mistreatment during pregnancy and childbirth in the United States. Reproductive Health, Vol. 16. www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6558766/ [8]