Cas étudié par Laïla Faivre.
Incarcéré depuis plus d’un an et demi, le journaliste camerounais Ahmed Abba est accusé de « complicité d’actes de terrorisme » par un tribunal militaire. Il enquêtait sur la situation dans le Nord-Cameroun et sur Boko Haram. Depuis son arrestation Ahmed Abba, est victime de violences physiques et psychologiques graves. Jugé en fonction de la loi antiterroriste de 2014, il risque la peine de mort [1].
Le 30 juillet 2015, le journaliste Ahmed Abba est arrêté et placé en garde à vue pendant 15 jours, puis transféré dans les locaux des Services de renseignements de Yaoundé où il est détenu au secret pendant plus de trois mois. Durant cette période, il n’a eu droit à aucune visite, il a été déshabillé et passé à tabac. Le 13 novembre 2015, il est finalement interrogé par les enquêteurs de la gendarmerie nationale. Lors de cet interrogatoire, il apprend qu’il est poursuivi pour « complicité d’acte de terrorisme » et « non-dénonciation d’actes de terrorisme ». Il se voit reprocher d’avoir été en contact avec des membres du groupe islamiste Boko Haram et de ne pas avoir partagé avec les autorités des informations qu’il aurait pu recueillir lors de son travail sur les activités du groupe djihadiste. Il est alors transféré à la prison de la capitale où il est enchaîné pendant un mois. Sans qu’aucune instruction ne soit menée, le Parquet le renvoie devant un tribunal militaire. Ses avocats dénoncent un dossier absolument vide de tout élément de preuve, alors que le détenu risque la peine de mort [2].
Contexte
Depuis 2014, la région de l’Extrême-Nord du Cameroun est en proie à un violent conflit armé depuis que le groupe islamiste nigérian Boko Haram attaque les populations et les organes de l’État. En réaction, les autorités camerounaises ont déployé de plus en plus de soldats sur le terrain et répondent à Boko Haram par la force, y compris contre les civils considérés comme proches des islamistes.
La situation sécuritaire et celle des droits de la personne se sont fortement dégradées dans le nord du Cameroun. Plusieurs journalistes et défenseurs des droits humains camerounais comme étrangers ont été intimidés pour avoir été présents ou pour avoir voulu enquêter dans cette partie du territoire. Une autocensure est aujourd’hui pratiquée au sein de ces professions, renforcée par une loi promulguée en décembre 2014 qui durcit la législation nationale relative à la lutte contre le terrorisme en portant atteinte à de nombreux droits et libertés fondamentales et en élargissant le champ d’application de la peine de mort. Dorénavant, toute parole ou écrit public, considéré comme « apologie des actes de terrorisme », est passible de 15 à 20 ans d’emprisonnement et d’une amende de 25 à 50 millions de FCFA. De plus, la définition du « terrorisme » retenue est très vague et le terme « apologie » est nullement défini [3].
En juillet dernier, Amnesty international publiait un rapport sur les méthodes des soldats camerounais pour « protéger les civils » contre la secte terroriste. Les exactions sont nombreuses et graves : actes de torture, disparitions forcées et détention au secret, exécutions extrajudiciaires, recours à un usage excessif de la force, morts, conditions de détention désastreuses et mortelles, brutalités contre les civils, dénonciations non fiables, recours systématique à la peine de mort, etc. Le cas d’Ahmed Abba entre dans cette sinistre liste et illustre une situation alarmante [4].
Par la ratification de la Convention contre la torture en 1986, le gouvernement camerounais c’est engager à abolir et prévenir toutes pratiques de tortures et formes de mauvais traitements à l’encontre de tous les individus sans distinction. Le Cameroun a également ratifié la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui garantissent la protection des journalistes ainsi que leurs sources. Le gouvernement du Cameroun doit donc tout mettre en œuvre pour respecter et faire respecter tous ses engagements et mettre un terme à une telle situation de non-respect des droits de la personne, dont Ahmed Abba en est l’une des nombreuses victimes.
Le Comité contre la torture en 2010 s’est déclaré très préoccupé par les allégations faisant état d’actes de harcèlement, de détention arbitraire, d’actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants et de menaces de mort dont étaient victimes les journalistes et les défenseurs des droits humains, et du fait que ces actes demeurent impunis. Cette observation place le Cameroun dans la liste des États qui pratiquent ou laissent pratiquer la torture en totale impunité et en dépit de leurs engagements. La situation exceptionnelle de lutte contre le terrorisme ne peut en aucun cas justifier quelques dérogations que se soient. Le respect des droits de la personne et la primauté du droit doivent constituer et rester le fondement du combat contre le terrorisme [5].
Dans un tel contexte, l’ACAT Canada vous propose d’interpeller les autorités camerounaises pour demander la libération immédiate d’Ahmed Abba, et d’obtenir que les responsables soient poursuivis et qu’ainsi, la justice lui soit rendue pour les violations graves qu’il a subies depuis son arrestation.
Sources
ACAT France. Novembre 2016. Un journaliste injustement détenu depuis 16 mois : http://www.acatfrance.fr/actualite/un-journaliste-injustement-detenu-depuis-16-mois- [1] [3]
Amnesty international. 14 juillet 2016. Cameroun: Bonne cause, mauvais moyens : Atteintes aux droits humains et à la justice dans le cadre de la lutte contre Boko Haram au Cameroun : https://www.amnesty.org/en/documents/afr17/4260/2016/fr/ [4]
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Novembre 2009. Droits de l’homme, terrorisme et lutte antiterroriste : http://www.ohchr.org/Documents/Publications/Factsheet32FR.pdf [5]
RFI. 30 juillet 2016. Cameroun : Ahmed Abba, déjà un an derrière mes barreaux : http://www.rfi.fr/afrique/20160729-cameroun-ahmed-abba-an-derriere-barreaux [2]
Appel à l’action au Cameroun : Mode d’emploi pour agir
Pour faire suite à l’étude de cas présentée ci-haut, agissez!
Premièrement, signez et ajoutez votre nom sur la lettre. Ensuite expédiez une copie de cette lettre à l’adresse principale indiquée en haut.
Envoyez aussi une copie conforme (C.c.) à l’adresse secondaire.
Destinataire :
Monsieur Laurent Esso, ministre de la Justice
Ministère de la Justice
BP 466
Yaoundé, Cameroun
C.c. :
Monsieur le Haut-commissaire René Cremonese
Haut-commissariat du Canada
Édifice « Les Colonnades »
Nouveau Bastos Rue 1 792
Yaoundé, Cameroun