Le Burundi vit une situation de crise sous la main de fer du président Pierre Nkurunziza, illégalement réélu pour un troisième mandat en 2015. Les élections 2020 approchent, et le nombre de cas de violation des droits humains ne fait qu’augmenter. L’ACAT Burundi, SOS-Torture Burundi et la Ligue ITEKA [1] rapportent constamment de nouvelles violations, tandis que d’autres commencent à parler de génocide [2]. Alors que l’ACAT France plaide pour la libération de journalistes innocents [3], l’ACAT Canada s’inquiète de la montée des arrestations arbitraires et des disparitions forcées, des cas de torture et de mauvais traitements sur ceux et celles qui osent briser le silence et dénoncer ces violations.
Les élections présidentielles sont prévues pour le 20 mai 2020. En attendant, le parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), exerce en toute impunité une oppression musclée contre les opposants. Selon l’ACAT Burundi, l’arrestation et la violation des droits de membres du Conseil national pour la liberté (CNL), principal parti d’opposition au Burundi, sont fréquents : « Une répression excessive à l’endroit des partisans du parti CNL et d’autres partis politiques de l’opposition (arrestations arbitraires, tortures, interdiction de réunion et de circulation, etc.) devrait retenir l’attention de tout le monde » [4]. On parle même d’exactions mortelles : « En date du 22 février 2020, un militant du CNL connu sous le nom de Felix Nduwayo est décédé au cachot de la commune Mubimbi en province de Bujumbura où il était détenu […]. Les actes de torture qu’il a subis lors de son interpellation sont à l’origine de sa mort selon Aimé Magera, porte-parole du CNL […] » [5].
Il y a tellement d’assassinats commis par les forces de l’ordre que plusieurs s’entendent pour dire que nous assistons à l’éclosion d’un génocide. En effet, selon Gregory H. Stanton, chercheur et activiste américain, le processus du génocide se développe en dix étapes, qui peuvent se présenter dans le désordre ou simultanément [6]. Le Burundi aurait franchi toutes les étapes jusqu’à la huitième, celle de la persécution : « Les soldats du gouvernement arrêtent et torturent des centaines de civils qu’ils identifient comme appartenant à l’opposition. Des modifications sont également apportées au Code pénal et au Code de procédure pénale du Burundi pour permettre aux forces armées de procéder à des recherches sans mandat, de resserrer leur surveillance des courriels et de faciliter la saisie d’information par voie électronique » [7].
Dans ce contexte, les élections du 20 mai 2020 n’augurent rien de bon. Nous pouvons imaginer les menaces des soldats et la peur des électeurs. Précisons que la crise actuelle se situe dans la continuité d’une crise électorale qui a débuté en 2015. Le Burundi avait adopté l’Accord d’Arusha en 2000, modifiant sa constitution en 2005 pour faire alterner au pouvoir Hutus et Tutsis, les deux ethnies en rivalité sanglante, de même que pour limiter à deux les mandats présidentiels consécutifs. Alors que le président Pierre Nkurunziza terminait son deuxième mandat en 2010, il s’est fait réélire illégalement pour un troisième mandat en déployant des moyens cruels pour générer la peur des électeurs. Le mécontentement s’est élevé et des manifestations ont remué le pays. La répression s’est amplifiée.
Parmi les moyens employés durant cette répression des dissidents qui dure depuis 2015, mentionnons la radiation des organisations de la société civile et l’arrestation de défenseurs des droits humains. À titre d’exemple, Germain Rukuki, comptable de l’ACAT Burundi, a été condamné à 32 ans de prison en 2018 pour « rébellion », « atteinte à la sécurité de l’État », « participation à un mouvement insurrectionnel » et « attentat contre le chef de l’État » [8]. Plus récemment, nous sommes appelés à l’action pour contester la condamnation de deux ans et demi de prison pour les journalistes du média indépendant Iwacu, Agnès Ndirubusa, Christine Kamikazi, Egide Harerimana et Térence Mpozenzi, qui voulaient simplement exercer leur travail de collecte d’informations à la suite des événements violents survenus dans la province de Bubanza, le 21 octobre 2019 [9]. Chaque semaine, SOS-Torture Burundi et la Ligue ITEKA rapportent des assassinats, des viols de femmes et de filles par des agents de police et des tortures sur des milliers de civils [10]. De nombreux Burundais s’enfuient dans les pays voisins comme le Rwanda, la République démocratique du Congo (RDC), la Tanzanie ou l’Ouganda, où se retrouvent 400 000 demandeurs d’asile [11] ; la majorité d’entre eux croupissent dans des camps de réfugiés et craignent le refoulement, surtout en Tanzanie [12].
Devant cette situation, les pays qui aidaient le Burundi se retirent du jeu, et l’aide humanitaire est constamment réduite. L’indifférence face aux souffrances des Burundais plonge le pays dans un isolement diplomatique et économique [13]. Par exemple, le Canada n’a pas d’ambassadeur au Burundi, le Haut-Commissariat canadien à Nairobi, au Kenya, étant responsable de cinq pays, dont le Burundi. Après le dépôt à la Chambre des communes en 2017 d’un rapport sur la crise sévissant au Burundi, on espère que l’aide au développement prodiguée par le Canada a été maintenue. Ce rapport recommandait que le gouvernement du Canada « continue de fournir une aide financière et politique aux organisations de la société civile du Burundi, notamment en prônant leur protection par les voies diplomatiques existantes » [14]. Or, la société civile a été muselée par la radiation des organisations qui opèrent difficilement à partir de l’extérieur, comme c’est le cas de l’ACAT Burundi, et les voies diplomatiques n’existent pratiquement plus [15].
En ce temps de pandémie de COVID-19, le Canada doit continuer de prendre au sérieux les violations des droits humains en contexte électoral dans un pays qui s’est isolé du monde, avec notamment la fermeture du bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l’Homme au Burundi en février 2019 [16]. Soulignons que le Burundi contrevient à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, à laquelle il a adhéré en 1993. À cet égard, l’organisation SOS-Torture Burundi vient de publier son rapport annuel qui confirme 60 cas de torture en 2019 au Burundi [18], situation tragique et totalement inhumaine. Agissez en demandant au ministre des Affaires étrangères du Canada de presser « le Conseil de sécurité des Nations unies de prendre des mesures pour prévenir la perpétration d’actes génocidaires » [17]. Demandez au ministre de faire preuve de vigilance et de lutter contre l’impunité en encourageant le recours à des outils juridiques comme la compétence universelle [19] et en prenant des mesures de nature économique, politique ou diplomatique pour amener le gouvernement burundais à respecter ses engagements internationaux. L’ACAT Canada continuera à faire une veille sur ce pays.
Appel à l’action préparé par Nancy Labonté, coordonnatrice, en collaboration avec le Comité des interventions
Vous pouvez agir
Lettre d’action en format .pdf : Lettre pour aider les Burundais en .pdf
Lettre d’action en format modifiable .docx : Lettre pour aider les Burundais en .docx
Sources
ACAT Burundi. 2020. Étude de l’impact de l’isolement du Burundi sur la scène internationale menée par ACAT-Burundi. www.acatburundi.org/1057-2/ [11] [13] [15] [16]
ACAT Burundi. 2020. Rapport sur le Monitoring des Violations et atteintes aux droits de l’homme commises au Burundi. « Recrudescence des cas de violations des droits humains dont les assassinats suite au processus électoral en cours… ». www.acatburundi.org/wp-content/uploads/2020/03/Situation-des-droits-de-lhomme-au-Burundi-recens%C3%A9e-par-Acat-Burundi-pour-le-mois-de-f%C3%A9vrier-2020.pdf [4] [5]
ACAT France. 2020. Des experts des Nations unies dénoncent la condamnation de quatre journalistes burundais. acatfrance.fr/actualite/des-experts-des-nations-unies-denoncent-la-condamnation-de-quatre-journalistes-burundais [3] [9]
Centre de droit international de l’Université Libre de Bruxelles. Compétence universelle au Canada. competenceuniverselle.wordpress.com/au-canada [19]
FIACAT. 2019. Burundi : demande de libération immédiate de Germain Rukuki [Communiqué de presse]. fiacat.org/presse/communiques-de-presse/2777-declaration-burundi-demande-de-liberation-immediate-de-germain-rukuki [8]
Gouvernement du Canada : Comité permanent des affaires étrangères et du développement international et Sous-comité des droits internationaux de la personne. 2017. Division et violations des droits de la personne au Burundi. www.noscommunes.ca/Content/Committee/421/FAAE/Reports/RP8762787/faaerp06/faaerp06-f.pdf [14] [17]
Human Rights Watch. 2019. Tanzanie : Les réfugiés burundais subissent des pressions pour quitter le pays. www.hrw.org/fr/news/2019/12/12/tanzanie-les-refugies-burundais-subissent-des-pressions-pour-quitter-le-pays [12]
Ligue burundaise des droits de l’homme ITEKA. Site web. ligue-iteka.bi [1] [10]
Musée de l’Holocauste Montréal. Burundi. genocide.mhmc.ca/fr/burundi [2] [7]
Musée de l’Holocauste Montréal. Les dix étapes d’un génocide. museeholocauste.ca/fr/ressources-et-formations/dix-etapes-genocide [6]
SOS-Torture Burundi. 2020. Rapport annuel 2019. sostortureburundi.org/wp-content/uploads/2020/03/Sos_torture_Burundi_rapport_annuel_2019.pdf [18]
SOS-Torture Burundi. Site web. sostortureburundi.over-blog.com [1] [10]