Être une personne LGBTQ+ au Cameroun est illégal et moralement choquant, entraînant la banalisation de la violence à leur égard. Ainsi se révèle un autre visage de la torture. Pour fuir la persécution, ces personnes peuvent être accueillies au Canada selon une directive de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Mais est-ce simple comme cheminement ? Appelons le Canada à préciser son accueil des personnes LGBTQ+ persécutées au Cameroun.


Vous pouvez agir

Lettre d’action :


Le 8 février 2021, Njeuken Loic (connue sous le nom de « Shakiro ») et Mouthe Roland (connue sous le nom de « Patricia »), deux femmes transgenres, sont arrêtées dans un restaurant parce que vêtues d’habits féminins [1]. Le 11 mai, la justice camerounaise les condamne à une peine de 5 ans d’emprisonnement et à 200 000 francs CFA d’amendes pour tentative d’homosexualité et outrage public aux mœurs [2]. Ces deux femmes, à propos desquelles les juges ont présumé de l’existence de rapports homosexuels, sont parmi les cibles d’une chasse aux sorcières menée par le gouvernement du Cameroun qui criminalise les rapports entre personnes du même sexe. Les minorités sexuelles souffrent aussi d’un climat anti-LGBTQ+ largement répandu dans la société. Alors qu’elles venaient de bénéficier d’une mesure de mise en liberté provisoire, Shakiro et Patricia ont subi une agression filmée par un groupe de jeunes à Douala. Leur avocate, Me Nkom, indique que « les images sont violentes. Les deux femmes, extraites de force d’un taxi, sont humiliées, dénudées, rouées de gifles, de coups de pied… La scène dure plusieurs minutes, c’est de la barbarie » [3].

La phobie sociale envers les LGBTQ+ au Cameroun n’est pas un cas isolé. En effet, 69 pays dans le monde condamnaient encore les pratiques homosexuelles en 2020, selon l’Association internationale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes (Ilga) [4]. Sur le seul continent africain, 32 des 54 pays considèrent explicitement que les relations entre personnes du même sexe constituent un crime [5]. Pour les pays africains, l’homosexualité contrevient au modèle du citoyen africain. En effet, la déviance sexuelle remet en cause l’idéologie autoritaire hétérosexiste ancrée dans ces sociétés [6]. Considérés comme immoraux, indécents, voire contre nature, les actes d’homosexualité font l’objet de condamnations extrêmement violentes. Selon l’observatoire des inégalités, certains pays appliquent des peines allant des coups de fouet à la thérapie forcée. Certains pratiquent même la peine de mort. En effet, les relations homosexuelles sont passibles de peine de mort dans six pays, dont le Yémen et la Mauritanie [7].

À partir de 2006, le Cameroun a entrepris une véritable répression des communautés LGBTQ+, notamment par le biais des médias. Cette année-là, le journal camerounais La Météo a publié une liste de personnalités politiques présumées homosexuelles, qui a été relayée par une grande majorité de journaux [8]. Qualifiées d’« œuvre de salut public » selon le rédacteur en chef du journal l’Anecdote, ces délations sont apparues parallèlement au lancement d’une campagne de répression anti-LGBTQ+ par le gouvernement [9]. Généralement dénoncées par des voisins ou des inconnus sur fond de suspicions, les personnes LGBTQ+ font l’objet d’arrestations et de poursuites non fondées [10]. En fait foi le cas de ce Camerounais condamné pour homosexualité en 2014 après avoir simplement commandé une boisson crémeuse dans un bar. À ce sujet, la justice camerounaise a estimé que la boisson était jugée trop féminine pour être commandée par un homme [11]. Alors que l’article 347-1 du Code pénal condamne les relations entre personnes du même sexe en public, les nombreux cas de condamnations témoignent néanmoins de l’absence de preuves.

En 2021, les minorités sexuelles subissent une nouvelle vague d’arrestations arbitraires. Dans son dernier rapport, Human Rights Watch (HRW) fait part de 24 personnes LGBTQ+ arrêtées, tuées, battues ou menacées par les forces de l’ordre depuis le mois de février [12]. Lors de ces arrestations, les minorités sexuelles subissent des violences physiques et psychologiques. Premièrement, des cas de test de dépistage du VIH ainsi que des examens anaux forcés ont été documentés. Une victime qui a eu le courage de témoigner pour HRW raconte : « Le médecin était gêné, mais a dit qu’il devait faire l’examen parce que le procureur en avait besoin. J’ai dû me pencher en avant. Le médecin portait des gants et a inséré son doigt. C’était la chose la plus humiliante que j’aie jamais vécue » [13]. Cet examen médical est une véritable atteinte au droit à l’intégrité corporelle et constitue une forme de traitement cruel, inhumain et dégradant et, dans certains cas, il s’apparente à de la torture. Deuxièmement, lorsque ces personnes sont placées en détention, elles subissent des agressions et des viols collectifs aux mains d’autres détenus sans intervention des gardiens, qui sont complices de ces violences [14]. Dernièrement, au Cameroun, les minorités sexuelles sont victimes de la pratique du « weekend arrest ». Arrêtées le vendredi, elles sont relâchées à la fin du week-end contre une somme d’argent [15].

La criminalisation de l’homosexualité au Cameroun entraîne des conséquences désastreuses sur les minorités sexuelles. De plus, marginalisées et stigmatisées, les personnes LGBTQ+ sont souvent rejetées par leurs familles [16]. Elles font aussi l’objet de discriminations dans l’accès aux droits les plus fondamentaux, tels que l’éducation et les soins de santé. En effet, il n’est pas rare que les traitements du VIH et d’autres maladies sexuellement transmissibles soient refusés aux minorités sexuelles [17]. Alors qu’elles sont victimes de violences par la population et le gouvernement, les minorités sexuelles ne disposent d’aucun soutien psychologique. Ainsi, selon le rapport annuel 2018 des cas de violences et violations faites sur la base de l’Orientation sexuelle et de l’identité de genre au Cameroun, produit par Alternatives Cameroon et Humanity First Cameroon, presque un tiers de la communauté LGBTQ+ souffre d’une dépression sévère [18].

Par sa politique homophobe, le Cameroun manque cruellement à ses engagements nationaux et internationaux. Comme le rappelle l’avocate Alice Nkom, la loi pénalisant l’homosexualité contrevient au principe constitutionnel camerounais qui prévoit la primauté des lois internationales [19]. À cet effet, sur le plan international, le Cameroun s’est engagé à respecter de nombreux textes internationaux qui protègent les communautés LGBTQ+ et interdisent la discrimination à leur endroit. C’est le cas notamment de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui garantit le droit à la non-discrimination et une égalité de protection devant la loi. En ce sens, la Commission africaine des droits de l’homme estime que l’égalité de protection s’étend à l’orientation sexuelle. S’agissant des textes onusiens, le Cameroun a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui garantit une égale protection, la non-discrimination et le droit à la vie privée. À ce titre, le Comité des droits de l’homme considère que la loi pénalisant l’homosexualité au Cameroun contrevient aux principes énoncés dans le Pacte [20]. Depuis 1986, le Cameroun est État partie à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Néanmoins, le Comité contre la torture se dit préoccupé par le fait que « les cas de violence, de harcèlement, de “viol correctif” et de meurtre à l’encontre de lesbiennes, gays [sic], bisexuels et transgenres, ainsi qu’à l’encontre de défenseurs des droits de l’homme qui dénoncent ces violations, ne font pas l’objet d’enquêtes approfondies » [21].

La défense des droits des minorités sexuelles est importante pour le Canada. En 2017, une vague de répression des personnes homosexuelles est survenue en Tchétchénie, et le gouvernement canadien n’a pas hésité à apporter son soutien aux minorités par la mise en œuvre d’un partenariat avec l’ONG RainBow Railroad – une organisation canadienne qui aide les lesbiennes, les gais, les bisexuels, les transgenres et les homosexuels à échapper à la violence et à la persécution dans leur pays d’origine [22]. Grâce à cette initiative, 31 personnes LGBTQ+ ont ainsi obtenu l’asile au Canada. Justin Trudeau a d’ailleurs déclaré que le pays « continuera à défendre les droits et à protéger les personnes vulnérables dans le monde » [23]. L’attachement des Canadiens à protéger les minorités sexuelles s’illustre aussi par l’entrée en vigueur de la « Directives no 9 : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre », établie par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [24]. L’objectif de cette directive est de mieux comprendre les difficultés auxquelles se heurtent les personnes de la communauté LGBTQ+ et de définir le critère de persécution en lien avec l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre [25]. Encourageons ce type d’initiative en écrivant au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté afin d’augmenter le nombre de personnes LGBTQ+ réfugiées au Canada en favorisant, entre autres, celles provenant du Cameroun.

Sources

Alternatives-Cameroun et Humanity First Cameroon. 2019. L’ignorance… Rapport annuel 2018 des cas de violences et violations faites sur la base de l’Orientation Sexuelle et de l’Identité de Genre au Cameroun. www.coalitionplus.org/wordpress/wp-content/uploads/2019/05/RAPPORT-DE-VIOLATION-LGBTI-AU-CAMEROUN-2018-FINAL-1.pdf [18]

Awondo, Patrick, Peter Geschiere, Graeme Reid, Alexandre Jaunait, Amélie Le Renard et Élisabeth Marteu. 2013. Une Afrique homophobe : Sur quelques trajectoires de politisation de l’homosexualité : Cameroun, Ouganda, Sénégal et Afrique du Sud. Raisons politiques, 49, 95-118. www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2013-1-page-95.htm [8] [9]

Comité des droits de l’homme. 2017. Observations finales concernant le cinquième rapport périodique du Cameroun CCPR/C/CMR/CO/5. docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx [21]

Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU. 2019. Observations finales concernant le quatrième rapport périodique du Cameroun E/C.12/CMR/CO/4. docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx [20]

Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. 2017. Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre. www.irb-cisr.gc.ca/fr/legales-politique/politiques/Pages/GuideDir09.aspx [24] [25]

France 24. 2021. Au Cameroun, l’homophobie continue de faire des victimes. www.france24.com/fr/afrique/20210223-au-cameroun-l-homophobie-continue-de-faire-des-victimes [19]

Gay Christian Africa. 2015. Stigmatisation et discrimination des personnes LGBT au Cameroun : le rôle de l’Église catholique locale. www.gaychristianafrica.org/stigmatisation-et-discrimination-des-personnes-lgbt-au-cameroun-le-role-de-leglise-catholique-locale/ [16]

Human Rights Watch. 2021. Cameroun : Vague d’arrestations et abus à l’encontre de personnes LGBT. www.hrw.org/fr/news/2021/04/14/cameroun-vague-darrestations-et-abus-lencontre-de-personnes-lgbt [12] [13] [14]

Independent Advisory Group on Country Information. 2020. Country Policy and Information Note. Cameroon: Sexual orientation and gender identity or expression. assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/865882/Cameroon_-_SOGIE_-_CPIN_-_v1.0__Final_Feb_20__Gov.uk.pdf [15] [17]

Le Nouvel Obs. 2014. Il boit un Baileys et est déclaré coupable d’homosexualité. www.nouvelobs.com/l-histoire-du-soir/20140916.OBS9351/il-boit-un-baileys-et-est-declare-coupable-d-homosexualite.html [11]

Ndjio, Basile. 2018. Sexuality and nationalist ideologies in post-colonil Cameroon. In : Saskia Wieringa et Horacio Sivori (Éd). The Sexual History Of The Global South Sexual Politics And Postcolonialism In Africa, Asia And Latin America. archive.org/details/TheSexualHistoryOfTheGlobalSouthSexualPoliticsAndPostcolonialismInAfricaAsiaAndLatinAmerica/page/n135/mode/2up [6]

Observatoire des inégalités. 2021. Dans 69 pays sur 193, l’homosexualité est interdite. www.inegalites.fr/Dans-69-pays-sur-193-l-homosexualite-est-interdite?id_theme=19 [4] [5] [7]

Parent, Stéphane. 2017. Le Canada a tout fait pour accueillir une trentaine d’homosexuels tchétchènes persécutés. www.rcinet.ca/fr/2017/09/05/le-canada-a-tout-fait-pour-accueillir-une-trentaine-dhomosexuels-tchetchenes-persecutes/ [22] [23]

STOP homophobie. 2021. Cameroun : L’influenceuse trans Shakiro et son amie Patricia « lynchées » par une dizaine de jeunes à Douala. www.stophomophobie.com/cameroun-linfluenceuse-trans-shakiro-et-son-amie-patricia-lynchees-par-une-dizaine-de-jeunes-a-douala/ [1] [2] [3]

The Advocates for Human Rights et Alternatives Cameroon. 2020. Republic of Cameroon’s Compliance with the Convention Against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment (Suggested List of Issues Prior to Reporting relating to violence and discrimination on the grounds of sexual orientation or gender identity). tbinternet.ohchr.org/Treaties/CAT/Shared%20Documents/CMR/INT_CAT_ICS_CMR_42507_E.pdf [10]