Les personnes migrantes devraient être traitées avec tous les égards dus à leur dignité intrinsèque d’êtres humains. Au cours des derniers mois, huit provinces canadiennes ont indiqué qu’elles n’accepteront plus le transfert dans leurs prisons de migrants détenus en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. L’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador sont les deux dernières provinces à n’avoir toujours pas exprimé à ce jour leur position sur le sujet.
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- Île-du-Prince-Édouard
- Terre-Neuve-et-Labrador
Au Canada, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) permet à des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) d’arrêter et de détenir des migrants pour une période indéterminée.
En effet, le Canada légitime ces détentions s’il existe des motifs raisonnables de croire que ces personnes ne sont pas admissibles sur le territoire, ne respecteront pas les conditions assorties à une mesure de mise en liberté ou constituent un danger pour la sécurité publique[i]. Aucune durée limite ou maximale de détention n’étant mentionnée dans la loi, les personnes détenues pour des raisons administratives en vertu de la LIPR sont donc incarcérées sans savoir lorsqu’elles sortiront, une incertitude qui est couplée au choc initial de l’emprisonnement et qui est source d’anxiété et de dépression[ii].
Une fois arrêtés par les agents de l’ASFC, les individus doivent être détenus dans l’un des trois centres de surveillance de l’immigration (CSI) situés au Canada[iii]. En l’absence de CSI à proximité du lieu d’arrestation, les migrants sont alors incarcérés dans des établissements de détention provinciaux, en vertu de protocoles d’ententes conclus entre l’ASFC et certaines provinces. À ce jour, huit provinces ont résilié ou sont sur le point d’annuler leurs accords respectifs de détention de migrants. L’Ontario a pris cette décision, il y a quelques semaines, après qu’une enquête du Toronto Star ait révélé que plus de 80% des immigrants incarcérés dans les prisons provinciales ontariennes ne l’ont pas été pour des motifs de dangerosité ou liés à la sécurité publique[iv].
À l’approche de la date d’expiration des protocoles d’entente entre l’ASFC et certaines provinces, l’ASFC procède à des transferts de détenus d’une prison provinciale à une autre, plutôt que d’opter pour des solutions de rechange non privatives de liberté[v]. Bien qu’elles n’aient pas conclu de protocoles d’entente avec l’ASFC, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador sont les deux provinces qui n’ont pas exprimé leur intention de ne plus recevoir de personnes migrantes détenues pour des raisons administratives dans leurs établissements correctionnels provinciaux.
Un système de détention qui viole le droit international
Selon l’article 3(3)f), la LIPR doit être interprétée et mise en œuvre conformément « aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire. »[vi] D’après l’article 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Canada doit s’engager à proscrire tout acte constitutif « de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture », tel que des détentions administratives prolongées d’individus ne faisant les frais d’aucune inculpation criminelle [vii]. En outre, en tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Canada devrait suivre les recommandations du Comité des droits de l’homme qui, dans son commentaire sur l’article 9 du traité, indiquent que la détention « aux fins de contrôle de l’immigration […] ne doit pas avoir lieu dans une prison. »[viii]
L’emprisonnement de personnes migrantes au Canada, une forme de mauvais traitements
Selon le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, la privation de liberté des migrants ne devrait être ni punitive dans son essence[ix], ni prendre place dans « des locaux tels que les commissariats de police, les maisons d’arrêt, les prisons et autres établissements de ce type, car ceux-ci sont conçus pour les personnes relevant du système de justice pénale. »[x]
Or, depuis 2000, au moins 17 personnes sont décédées pendant leur détention administrative en vertu de la LIPR, la plupart d’entre elles dans des prisons provinciales[xi].
Peu importe la durée de l’incarcération, même minime, celle-ci a des impacts négatifs durables sur la santé mentale des individus. En effet, l’incertitude liée à la date de fin de ces détentions prolongées est une source d’angoisse constante qui suscite un sentiment d’impuissance, le tout pouvant exacerber ou créer des troubles psychologiques tels que la dépression et le stress post-traumatique.
Dans une enquête conjointe d’Amnistie internationale et de Human Rights Watch, des personnes qui ont été incarcérées dans le cadre du système de détention de l’immigration du Canada ont fait état de répercussions psychologiques qui se font encore ressentir pour elles et leurs proches[xii]. Le rapport indique que les migrants sont emprisonnés avec des condamnés de droit commun[xiii] et sont souvent l’objet de mesures d’isolement cellulaire, une pratique qualifiée « d’actes de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » par les Nations Unies[xiv].
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[i] Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27), art.55, en ligne : <https://lois.justice.gc.ca/fra/lois/I-2.5/page-7.html#h-268230> (consulté le 2023-07-05).
[ii] Brigitte Bureau, « Emprisonnement sans limite : Mettre fin à la détention de personnes migrantes dans des prisons provinciales », Radio-Canada Récits numériques (31 janvier 2023).
[iii] Agence des services frontaliers du Canada, Détentions et solutions de rechange à la détention, en ligne : <https://www.cbsa-asfc.gc.ca/security-securite/detent/menu-fra.html> (consulté le 2023-07-05).
[iv] Brendan Kennedy, « Ontario continues to house immigration detainees in jails even as other provinces put an end to “truly shocking” practice », Toronto Star (4 June 2023).
[v] Brigitte Bureau, « Lettre au premier ministre Trudeau : cessez « immédiatement » d’incarcérer les migrants », Ici Radio-Canada (26 juin 2023).
[vi] Supra note i, art 3(3)f).
[vii] Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 Décembre 1984, 1987 R.T.N.U. 1465 à la p. 85 (entrée en vigueur : 26 juin 1987).
[viii] Comité des droits de l’homme, Observation générale no35 (2014) : liberté et sécurité de la personne (art.9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques), Doc. off. CCPR/C/GC/35 (16 décembre 2014) au para 18;
Conseil des droits de l’homme, Délibération n°5 révisée sur la privation de liberté des migrants, Annexe au Rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire, Doc. off. A/HRC/39/45, 39e session, Point 3 de l’ordre du jour : Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, compris le droit au développement (2018) au para 38.
[x] Ibid, para 44.
[xi] Hanna Gros, Samer Muscati, « Des décès mettent en lumière l’inhumanité du système de détention de migrants au Canada » Human Rights Watch (27 janvier 2023).
[xii] Amnistie Internationale, Human Rights Watch « Je ne me sentais pas comme un être humain : La détention des personnes migrantes au Canada et son impact en matière de santé mentale. » (Juin 2021)
[xiii] Agence des services frontaliers du Canada, Croix-rouge canadienne : Programme de suivi des conditions de détention des immigrant(e)s rapport annuel 2020 à 2021, en ligne : <Croix-rouge canadienne : Programme de suivi des conditions de détention des immigrant(e)s rapport annuel 2020 à 2021> (consulté le 2023-07-05)
[xiv] Assemblée générale des Nations Unies, Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), Doc. off. A/RES/70/175, 70e session, Supp n 49, Point 106 de l’ordre du jour (17 décembre 2015), règles 43-45.