Article de Francis Koné.

koneDébuté en 2014, le projet de lutte contre la détention préventive abusive (DPA) que mène l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture de Côte d’Ivoire (ACAT CI) en collaboration avec la Fédération internationale des ACAT (FIACAT) est passé progressivement de trois (3) prisons et juridictions à six (6), actuellement, et bientôt, à dix (10).
Initié par la FIACAT avec les appuis financiers du ministère des Affaires étrangères de la République allemande, de la TAVOLA Valdese et du Barreau de paris, le projet DPA est exécuté par l’ACAT Côte d’Ivoire depuis mai 2014.  Il vise à accélérer les dossiers des détenus en prévention au-delà des délais légaux. Parallèlement, il veut contribuer à la réduction de la surpopulation carcérale et conséquemment à l’amélioration des conditions de détention dans les prisons cibles du projet. Devant les résultats probants, le projet s’est étendu à 6 prisons [1] et juridictions grâce au soutien financier d’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA). Aujourd’hui, grâce à l’Union européenne (UE) qui vient de présélectionner la FIACAT et l’ACAT Côte d’Ivoire (ACAT CI), il va porter sur 10 prisons [2], dont la plus grande de Côte d’Ivoire, la MACA.

Pourquoi le DPA ?

La surpopulation carcérale constitue un véritable problème qui affecte considérablement les droits fondamentaux des détenus. En Côte d’Ivoire, cette surpopulation résulte en grande partie d’un nombre important de prisonniers en attente de jugement. Selon les statistiques de l’administration pénitentiaire (DAP), le taux moyen de détention préventive est de 40% [3]. Les détenus restent trop souvent en détention préventive et, pour nombre d’entre eux, au-delà des délais légaux prévus par la loi. Or, les délais de la détention préventive tels qu’ils sont prescrits par les articles 137, 138, 139 du Code de procédure pénale ivoirien sont très clairs :

« En matière correctionnelle, lorsque le maximum de la peine prévue par la loi est inférieur à six mois d’emprisonnement, l’inculpé domicilié en Côte d’Ivoire ne peut être détenu plus de cinq jours après sa première comparution. Dans tous les autres cas, en matière correctionnelle et en matière criminelle, l’inculpé ne peut être détenu respectivement plus de six mois et plus de dix-huit mois ».

D’ailleurs, les observations conclusives des mécanismes régionaux et internationaux de promotion et de protection des droits de l’homme qui ont examiné la Côte d’Ivoire [4] lui ont fait des recommandations relatives à l’amélioration de la situation ci-dessus décrite. Malheureusement, cette dernière perdure aggravée par la non-séparation des condamnés des prévenus, l’insuffisance de budget pour une alimentation adéquate (2 repas sur trois servis par détenu et qualité peu satisfaisante), un difficile accès aux soins de santé, une hygiène qui laisse à désirer, etc. Le projet DPA, a donc pour objectif d’accélérer les procédures judiciaires en vue de juger, dans les délais légaux, les prévenus, de lutter contre  la surpopulation carcérale  et d’améliorer les conditions des détenus. Pour y arriver, il faut comprendre les raisons du fort taux de détenus préventifs et spécifiquement au-delà des délais légaux.

Quelles sont les causes de la détention préventive abusive en Côte d’Ivoire ?

L’exécution du projet a permis à l’ACAT CI, lors des séminaires-ateliers regroupant la société civile et les acteurs de la chaine pénale, de relever des facteurs qui amplifient le risque de maintenir en détention au-delà des délais légaux, les personnes en attente de jugement. Il s’agit de :
L’insuffisance de magistrats (1 magistrat pour environ 40 000 justiciables au lieu de 10 000 selon les standards internationaux) et la lourdeur administrative dans le traitement des dossiers des inculpés ;

  • La méconnaissance de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
  • La non-régularité des visites des lieux de détention prévue dans le mandat de l’administration judiciaire qui auraient pu révéler ces anomalies ;
  • L’absence de sanction face à l’inobservance du respect des délais légaux de détention préventive par les magistrats ;
  • L’accès à la justice jugé onéreux par une population pauvre (46 % de taux de pauvreté en 2015) ;
  • La méconnaissance par les justiciables et le mauvais fonctionnement de l’assistance judiciaire qui est centralisée dans la capitale économique Abidjan.

Notre stratégie d’action

Afin d’être plus efficace, l’ACAT CI procède par l’organisation de séminaires-ateliers de mise en relation des membres de la chaine pénale des prisons et juridictions cibles du projet : procureurs, juges d’instruction, greffiers, chefs d’établissement pénitentiaire, assistants sociaux, avocats et ceux des organisations de la société civile principalement, les bénévoles de l’ACAT CI. Ce qui facilite par la suite la collaboration entre ces derniers. Tous les participants y compris les magistrats responsables des dossiers des prévenus se sentent impliqués dans l’exécution du projet. Ainsi, la procédure suivante est suivie dans le cadre du projet :
Processus
 
 
Un guide pratique sur les garanties judiciaires de l’inculpé détenu a été réalisé afin de faciliter le recensement, le suivi des différents cas recensés et le suivi de leur situation par les détenus. Face au taux important de détenus analphabètes – environ 60% selon la DAP – un film documentaire sur le parcours du détenu a été réalisé. Il va, comme le guide, être mis à la disposition des détenus des 34 prisons de la Côte d’Ivoire et de la société civile.

Les résultats du projet

Après deux ans d’exécution du projet par l’ACAT CI, avec l’appui technique de la FIACAT, les résultats sont les suivants :

  • Sur un total de 157 cas recensés dans les 6 prisons, il y a eu 82 cas de libération provisoire (52,2%), 30 condamnés (19,1%) ; 15 dossiers en assise (9,5%) et 30 prévenus qui attendent le complément de leurs dossiers (19,1%) ;
  • Les prisons dans lesquelles l’ACAT CI réalise le projet, le taux de prévenus est en baisse ;
  • Les capacités des membres de la chaine pénale et de la société civile ont été le renforcées sur les droits fondamentaux des détenus.

On peut dire que les résultats sont satisfaisants. Et c’est cela qui a sans doute milité à la sélection de la FIACAT et l’ACAT CI par l’UE pour étendre le projet à 10 prisons.
Les remerciements de l’ACAT CI vont à l’endroit des partenaires financiers et techniques qui ont permis de réaliser ce projet afin d’apporter notre modeste contribution à la lutte contre les détentions préventives anormalement longues, ainsi que toutes les autorités de la chaine pénales pour leurs franches collaborations. L’objectif est d’étendre le projet à l’ensemble du territoire et de pouvoir venir en aide à tous les détenus qui croupissent injustement dans les prisons durant des années en attente de jugement.


[1] Abengourou, Adzopé, Agboville, Bouaké, Daloa, Grand-Bassam
[2] Abengourou, Abidjan, Adzopé, Agboville, Bouaké, Daloa, Gagnoa, Grand-Bassam, Sassandra, Toumodi
[3] Au 30 juin 2016, le taux de détention préventive était de 39.8 % sur l’ensemble du territoire (DAP)
[4] CADHP (2012), l’EPU (2009, 2014), CDH (2015)


 

Pour aller plus loin :

Conseil des droits de l’homme des Nations unies. 2009. Rapport du Groupe de travail sur l’Examen périodique universel en Côte d’Ivoire, A/HRC/13/9. http://ci-ddh.org/wp-content/uploads/2013/02/RAPPORT-EPU.pdf
Conseil des droits de l’homme des Nations unies. 2014. Rapport du Groupe de travail sur l’Examen périodique universel en Côte d’Ivoire, A/HRC/27/6. http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/HRC/27/6
FIACAT et ACAT CI. 2015. RAPPORT ALTERNATIF de la FIACAT et de l’ACAT Côte d’Ivoire en réponse aux rapports initial et périodiques cumulés du gouvernement ivoirien sur la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies. http://www.fiacat.org/IMG/pdf/Rapport_alternatif_conjoint_FIACAT_ACAT_CI_Final-2.pdf
FIACAT. Octobre 2012. 52e Session ordinaire de la CADHP – Yamoussoukro (Côte d’Ivoire) 8-22 octobre 2012. http://www.fiacat.org/52e-session-ordinaire-de-la-cadhp-yamoussoukro-cote-d-ivoire-8-22-octobre-2012