Cas étudié par Catherine Malécot.

Un détenu maintenu depuis quatre ans en isolement cellulaire a été découvert presque par hasard par la Commissaire en chef de la Commission ontarienne des droits de la personne, ce qui relance la question du recours aux mesures d’isolement dans les prisons. Une situation en totale contradiction avec les normes et règles internationales régissant la détention des personnes, dont la Convention contre la torture, les traitements cruels inhumains et dégradants des Nations unies (CAT), ratifiée par le Canada et s’imposant à tout État fédéré.

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C’est à l’occasion d’une visite de la prison de Thunder Bay le mois passé que la Commissaire en chef de la Commission ontarienne des droits de la personne (COPD), Renu Mandhane, a découvert la situation d’Adam Capay, jeune Autochtone de 23 ans en attente de jugement et placé en cellule d’isolement depuis bientôt quatre ans sous lumière artificielle 24 h sur 24 h et sans véritable contact humain. En dialoguant avec ce détenu, la Commissaire a pu constater son état de santé sérieusement dégradé, avec perte de mémoire, difficultés d’élocution et des signes visibles d’automutilation. Les officiers correctionnels présents lors de la visite n’ont pu donner les motifs du si long isolement cellulaire du détenu. À la Commissaire, ce dernier a signalé recevoir la visite d’un psychiatre tous les deux mois dont l’unique objectif était de vérifier ses capacités à poursuivre son placement en isolement sans aucune approche thérapeutique. Combien de temps encore la situation d’Adam Capay serait-elle restée ignorée si un agent correctionnel n’avait de sa propre initiative conduit la Commissaire vers la cellule de ce dernier dans les sous-sols aveugles de la prison de Thunder Bay ? Combien d’autres Adam Capay dans les prisons ?
Ce cas emblématique a entraîné de nombreuses interpellations du Ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels de l’Ontario qui a annoncé sa volonté d’une remise à plat de l’usage de cette mesure sans pour autant décider immédiatement d’une action pour remédier concrètement à la situation du détenu. Peu après toutefois, sans connaître les motifs exacts et l’instance qui en a décidé, on apprend qu’Adam Capay aurait été placé dans une autre cellule individuelle avec accès solitaire à une salle avec télévision, mais toujours sans contact avec les autres détenus. Il semblerait que ce transfert serait plutôt dû à des travaux de construction. Comme l’Ombudsman de l’Ontario qui a initié une enquête, on ne peut qu’être curieux sur ce passé de quatre années en isolement continu.
Les conditions types pour ces détenus en isolement sont de rester 23 heures par jour seuls dans leur cellule (comprenant un lit et une toilette, sans table ni chaise) et d’y prendre tous leurs repas. Ils ont droit à une sortie à l’extérieur une heure par jour et à une douche tous les deux jours. Les échanges avec le personnel correctionnel, les infirmiers et les psychologues sont en grande partie effectués par l’ouverture dans la porte prévue pour le passage des plateaux de repas. Les détenus en isolement ont donc très peu de contacts humains et à peu près aucun échange social véritable.
En août 2011, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture présentait un rapport sur les effets d’un isolement cellulaire prolongé ou à durée indéterminée. Les nombreuses études ou enquêtes convergent toutes sur la gravité des effets et des symptômes spécifiques engendrés par l’isolement tels l’anxiété, la dépression, la colère, les troubles cognitifs, l’altération de la perception, la paranoïa, la psychose et l’automutilation. À cela il faut ajouter les risques multipliés de suicide. Dans le cas d’Adam Capay ayant passé plus de 1500 jours consécutifs en isolement, le fait d’être aujourd’hui détenu selon un régime d’isolement moins draconien n’effacera en rien les préjudices graves et peut-être irrémédiables subis par cet homme et amplifiés par une procédure judiciaire d’une durée excessive. En effet, quatre ans après les faits, Adam Capay est toujours en détention préventive et donc présumé innocent.
L’isolement cellulaire est un traitement ou une peine pouvant être qualifiée de torture ou de traitement cruel et inhumain tel que défini par les articles 1 et 16 de la Convention contre la torture (CAT) considérant des circonstances telles que les motifs du placement en isolement, les conditions matérielles de l’isolement cellulaire, un régime très strict, une durée trop longue, le degré de vulnérabilité de la personne (femme, personne en situation de handicap mental, mineur, personne âgée, membre de minorité discriminée comme les peuples autochtones), le degré d’isolement, les souffrances psychiques ou physiques graves, etc.
Compte tenu des graves effets sur les personnes incarcérées, pour le Rapporteur spécial comme pour le Comité contre la torture, l’isolement cellulaire au-delà de 15 jours, qualifié de prolongé, doit donc être interdit. En raison de leur vulnérabilité, l’isolement des mineurs et des personnes en situation de handicap mental doit être aussi prohibé. Le recours à une mesure d’isolement doit être exceptionnel et se dérouler selon des principes directeurs et des garanties procédurales précises garantissant les droits des personnes incarcérées. Cela va de la qualité des locaux aux divers moyens de contrôle et de suivi des décisions de placement en isolement en passant par les procédures qui doivent garantir à la personne incarcérée le droit de contester et de faire appel de la décision de ses motifs ainsi qu’assurer son suivi médical.
L’administration des prisons et les conditions de détention sont régies par les règlements correctionnels et les lois nationales, mais aussi par le droit international des droits de la personne. Les principes fondamentaux relatifs au traitement des personnes incarcérées élaborés au niveau international affirment que toute personne privée de sa liberté, pour quelque raison que ce soit, doit être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.
En Ontario, comme dans le reste du Canada, l’administration d’une prison est tenue de respecter ses obligations internationales pour ce qui est des procédures qui entourent le placement en cellule d’isolement mises en œuvre par les autorités de la prison et par le ministère de tutelle. En Ontario, il existe des procédures encadrant le placement en cellule d’isolement qui doivent être mises en œuvre par les autorités de la prison et par le ministère de tutelle. Ainsi, à compter de 30 jours consécutifs, le sous-ministre adjoint est mis au courant des situations et des solutions de rechange envisagées. Aussi, dans le cas d’Adam Capay, un retour s’impose à l’évidence sur le suivi des procédures, des données transmises et des décisions prises ou pas. La responsabilité de diverses autorités est mise en cause très directement dans cette situation découverte, on le répète, par hasard. Une enquête publique s’impose en raison même d’éléments révélés par le journal The Globe and Mail. Une première information révèle que le précédent ministre, M. Naqvi, lors d’une visite, a aperçu et entendu Adam Capay et, s’interrogeant sur ce détenu, aurait été informé par l’officier correctionnel responsable de cette visite que ce dernier était en isolement depuis 4 ans – information qui aurait dû en tout état de cause sonner une alarme et qui ne peut raisonnablement pas s’oublier en raison même de son excès. D’autant plus que situation très dégradée de la prison de Thunder Bay, était connue et dénoncée, avec des locaux anciens, une surpopulation, une aggravation des violences, l’augmentation des détenus ayant des problèmes de santé mentale, la faillite des programmes de réhabilitation… Les effets de ces réalités sur les détenus et le personnel auraient dû constituer un point de vigilance particulier de la part des autorités concernées.
Une seconde information issue d’un travail d’enquête met en lumière de très graves dysfonctionnements dans le recours à isolement. Les motifs les plus souvent invoqués, quand ceux-ci sont inscrits, lisibles et compréhensibles, appartiennent en grande majorité au registre de la gestion administrative. Ces constats rejoignent ceux de l’Ombudsman déclarant « Ayant examiné des centaines de placements en isolement, il est clair que l’isolement est un outil régulièrement utilisé par les gestionnaires pour séparer, et en fait punir, les détenus les plus « difficiles » et vulnérables. » Circonstances aggravantes, relevées par cette instance, les contrôles internes requis par la loi seraient faits une fois sur quatre avant les 30 jours et les suivis externes prévus après 30 jours ne seraient presque jamais faits. Dans au moins un cas d’isolement de plus de trois mois, l’établissement aurait fabriqué des documents manquants.
Le 17 octobre dernier, le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels annonçait entreprendre la refonte du recours au placement en isolement dans la province. Un examinateur externe indépendant sera nommé afin d’en effectuer un examen approfondi. Un ensemble de mesures doivent entrer immédiatement en vigueur. En fait, elles brossent le tableau des défaillances actuelles. En résumé, il s’agit de :

  1. Recourir au placement en isolement en dernier recours.
  2. Limiter à 15 jours consécutifs au lieu de 30 pour un isolement disciplinaire.
  3. Mettre sur pied un comité d’examen des placements en isolement dans chaque établissement, devant se réunir hebdomadairement.
  4. Ne plus priver de tous leurs privilèges les détenus en isolement disciplinaire.
  5. Trouver avec le ministère de la Santé les moyens d’offrir plus de services de soutien adaptés aux détenus ayant des problèmes de santé mentale et aux autres détenus vulnérables.
  6. Mettre en place des pratiques de collecte de données pertinentes et communes à tout le système correctionnel.
  7. Évaluer les infrastructures existantes pour leur amélioration à l’échelle régionale.

Le cas d’Adam Capay illustre une réalité systémique qui semble encore loin d’être réglée et qui doit être prise en charge de manière sérieuse afin de remédier à une situation peu acceptable pour une démocratie comme le Canada. Nous vous proposons d’écrire aux autorités pour soutenir leur décision de révision de l’usage du placement en isolement et les encourager à mettre en place des règles respectant les normes internationales pour toutes les catégories de personnes incarcérées. Ces normes internationales constituent un guide très concret.

Sources

Assemblée générale des Nations unies. 5 août 2011. Rapport intérimaire du Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sur l’isolement cellulaire, A/66/268. https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N11/445/71/PDF/N1144571.pdf
Commission ontarienne des droits de la personne. 18 octobre 2016. Les données confirment le recours excessif systémique et alarmant au placement en isolement dans les établissements correctionnels de l’Ontario. http://www.ohrc.on.ca/fr/centre_des_nouvelles/les-donn%C3%A9es-confirment-le-recours-excessif-syst%C3%A9mique-et-alarmant-au-placement-en-isolement-dans-les
Commission ontarienne des droits de la personne. 2015. Isolement et santé mentale dans les prisons de l’Ontario : Jahn v. Ministry of Community Safety and Correctional Services. http://www.ohrc.on.ca/fr/isolement-et-sant%C3%A9-mentale-dans-les-prisons-de-l%E2%80%99ontario-jahn-v-ministry-community-safety-and
Haut commissariat des Nations unies. 1955. Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/TreatmentOfPrisoners.aspx
Ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels. 17 octobre 2016. Communiqué : L’Ontario va entreprendre la refonte du recours au placement en isolement dans la province. https://news.ontario.ca/mcscs/fr/2016/10/lontario-va-entreprendre-la-refonte-du-recours-au-placement-en-isolement-dans-la-province.html
Ministre de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels. Septembre 2015. Guide d’information à l’intention des personnes détenues dans les établissements pour adultes. http://www.mcscs.jus.gov.on.ca/french/corr_serv/PoliciesandGuidelines/CS_Inmate_guide_fr.html
Ombudsman de l’Ontario. 10 mai 2016. Prisons: l’ombudsman réclame la fin de l’isolement illimité (TFO). https://www.ombudsman.on.ca/Newsroom/Ombudsman-in-the-News/2016/Prisons–l%E2%80%99Ombudsman-reclame-la-fin-de-l%E2%80%99isolement.aspx
White, Patrick and Morrow, Adrian. 28 octobre 2016. Ontario knew about Capay’s solitary confinement plight for months. Dans The Globe and Mail. http://www.theglobeandmail.com/news/national/ontario-knew-about-plight-of-capay-in-solitary-confinement-for-months/article32561816/
White, Patrick. 24 avril 2016. Documents reveal troubling details about long-term solitary confinement. Dans The Globe and Mail. http://www.theglobeandmail.com/news/national/documents-reveal-troubling-details-about-long-term-solitary-confiment/article29746902/