Arrestations arbitraires, disparitions forcées et tortures frappent les rangs de l’opposition et des défenseurs des droits humains : syndicalistes, journalistes, membres d’association de défense des droits de la personne, etc.

Osman Yonis Bogoreh, journaliste, membre de la Ligue des droits de l’homme de Djibouti (LDDH), a été arrêté le 30 octobre dernier pour la seconde fois en une semaine et détenu à nouveau dans un lieu inconnu. Avant ces arrestations, Osman Yonis Bogoreh enquêtait en tant que journaliste sur un cas de viol collectif commis par plusieurs policiers sur des femmes d’origine éthiopienne.

Arrêté la première fois le 24 octobre, il a été battu à plusieurs reprises à coups de pied et de crosse, et détenu dans des conditions inhumaines, sans eau potable ni nourriture. Attaché nu à un arbre la nuit, il était menotté le jour dans une cabane de tôle en plein soleil, par des températures dépassant les 30 degrés Celsius. Un officier l’aurait menacé de diffuser les vidéos tournées alors qu’il était nu si, une fois libre, il venait à parler de ses conditions de détention. Osman Yonis Bogoreh aurait été interrogé sur ses liens avec la radio d’opposition Radio Boukao et le cyberactiviste franco-djiboutien Samatar Ahmed Osman Omar. Sa nouvelle arrestation suscite donc beaucoup d’inquiétude.

Ce même 30 octobre, Said Abdilahi Yassin, ami d’Osman Yonis Bogoreh et militant comme lui, était libéré par la police de Djibouti Ville, sans charge à son encontre, après avoir été détenu au moins six jours dans des conditions semblables.

Kako Houmed Kako, un autre militant prodémocratie, a été arrêté le 31 octobre 2019 par les services de renseignements et détenu au siège du Service de documentation et de sécurité (SDS). Selon des sources recueillies auprès de ses proches, il a été bel et bien torturé avant d’être placé en dépôt à la prison de Gabode, où il est toujours détenu.

Contexte

La République de Djibouti, un tout petit pays de la Corne de l’Afrique, est dirigée d’une main de fer, depuis 1999, par le président Ismaïl Omar Guelleh. Ce pays traverse une crise politique importante depuis 2013, année d’élections législatives auxquelles prenait part l’opposition, tenue à l’écart de ces processus depuis 10 ans. Les résultats du scrutin ont été contestés, et la répression a été violente. Malgré une amorce de dialogue politique, les années suivantes ont été marquées par une intensification de la répression. L’opposition reproche au gouvernement de ne pas respecter l’accord-cadre signé en 2014 pour mettre fin à la crise politique.

L’année 2015 est marquée par la mort violente de 27 personnes, en raison du recours excessif à la force par les forces de l’ordre lors d’une célébration religieuse et d’une réunion de l’opposition, le 21 décembre 2015. Cette répression des opposants se fait à la veille de l’élection présidentielle de 2016, par laquelle le président obtiendra son 4e mandat. Cela est dénoncé par l’opposition comme une violation de la Constitution, en plus des importantes fraudes qui marquent ce scrutin.

En 2017, les élections régionales et communales, remportées par la coalition au pouvoir, sont à nouveau décriées par l’opposition. Le harcèlement se poursuit, alors que des vagues d’arrestations de militants politiques, de syndicalistes et de défenseurs des droits humains par les services de sécurité sont accompagnées de graves violations des droits humains, dont la torture. Cette même année, Mohamed Ahmed meurt en détention. Accusé par le régime d’être un agent érythréen, celui-ci avait été arrêté en 2010, alors qu’il essayait de défendre une femme enceinte que des soldats tentaient de violer près de Moussa Ali (au nord-ouest du district de Tadjourah). Il aura attendu 7 ans avant d’être condamné à 15 ans de prison ferme. Il était considéré comme le plus ancien « prisonnier politique » du pays. Pour ses avocats, sa mort n’a rien d’accidentel.

Cette année encore, en 2019, la répression violente se poursuit. D’une part, bien qu’elle soit interdite par l’article 16 de la Constitution, la pratique de la torture persiste. D’autre part, même si Djibouti a ratifié la Convention contre la torture en 2002, le Comité contre la torture faisait part en 2011 de son inquiétude en raison de l’absence d’enquêtes et de poursuites. Cela consolide une situation d’impunité pour les auteurs de ces actes. Ces mêmes inquiétudes ont été réitérées en 2013 par le Comité des droits de l’homme. À nouveau en 2018, dans le cadre de l’examen périodique universel, le Conseil des droits de l’homme faisait les mêmes observations – ces constatations se retrouvent dans les rapports alternatifs des organismes tels que la LDDH sur la pratique systématique de la torture et de mauvais traitements lors d’arrestations violentes, durant la garde à vue ou en détention.

Lors de ce récent examen, l’État de Djibouti était une nouvelle fois appelé à prévenir l’usage excessif de la force, les arrestations arbitraires, les actes de torture et les mauvais traitements infligés à des civils par les forces de sécurité, notamment lors de manifestations et d’élections. Il était également incité à mettre en place un mécanisme législatif visant à interdire et à sanctionner l’usage excessif et arbitraire de la force par les membres des forces de sécurité. De plus, on l’exhortait à accélérer l’adoption de modifications législatives visant à éliminer la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et enfin, à prendre les mesures nécessaires pour améliorer les conditions de détention.

En 2015, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples regrettait l’absence d’une législation spécifique pour définir et criminaliser la torture, ainsi que d’un mécanisme national de prévention. Elle soulignait également le manque d’informations sur les mesures concrètes prises pour traduire en justice les auteurs, relativement aux enquêtes, poursuites et condamnations se rapportant à des cas de torture et de mauvais traitements perpétrés par des agents des forces de sécurité, des éléments de l’administration pénitentiaire et d’autres représentants de l’État.

Nous vous proposons d’intervenir pour les personnes citées dans ce cas, en écrivant aux autorités de Djibouti afin de les appeler à agir selon le droit et leurs engagements internationaux, comme le leur rappellent les instances de surveillance des traités relatifs aux droits humains ratifiés par ce pays.

Appel à l’action préparé par Catherine Malécot, vice-présidente


Vous pouvez agir

Lettre d’action en format .pdf : Lettre pour Djibouti pdf 2019-12

Lettre d’action en format modifiable .docx : Lettre pour Djibouti docx 2019-12


Sources

Association pour le Respect des Droits de l’Homme à Djibouti (ARDHD). S.d. Site internet de l’ARDHD. www.ardhd.org

Comité contre la torture. 2011. Observations finales. CAT/C/DJI/CO/1

Comité des droits de l’homme. 2013. Observations finales. CCPR/C/DJI/CO/1

Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. 2015. Observations finales et recommandations – Djibouti : Rapports initial et combiné.

Conseil des droits de l’homme des Nations unies. 2018. Rapport du Groupe de travail sur l’Examen périodique universel.

Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). 2019. Appel urgent – Djibouti : Harcèlement de 3 militants pro-démocratie. www.fidh.org/fr/themes/defenseurs-des-droits-humains/djibouti-harcelement-de-3-militants-pro-democratie

Radio France internationale (RFI) Afrique. 2019. Djibouti sous tension après le placement en détention de Kako Houmed Kako. www.rfi.fr/afrique/20191103-djibouti-tensions-detention-kako-houmed