Entrevue réalisée par Nancy Labonté.

Junior Nzita Nsuami « Kadogo » a été enrôlé contre son gré en République démocratique du Congo dans une armée de rebelles à l’âge de 12 ans. Il a été militaire durant 10 ans avant de demander sa démobilisation grâce à un programme de démilitarisation de l’ONU. Il a maintenant 32 ans.
En 1996, l’Alliance de forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) envahit l’école secondaire où étudie Junior Nzita et capture les jeunes de ce pensionnat du Nord-Kivu. Dans son livre Si ma vie d’enfant soldat pouvait être racontée, il rapporte qu’ils ont été transportés dans un conteneur sans savoir où ils allaient. Rendus au camp de cette milice, on les informe qu’ils recevront une formation militaire pour combattre le régime du président Mobutu, au pouvoir à Kinshasa depuis 1965.
Junior apprendra à tuer et à tolérer la peur et la torture. Il combattra contre l’armée gouvernementale et heurtera les civils au passage. Il verra ses copains se faire décapiter. Puis en 1997, Mobutu sera renversé, la milice des rebelles devenant gouvernementale, il restera enfant soldat, mais au service de l’armée régulière.
En l’an 2000, grâce à la protection d’un colonel, il retourne à l’école. Durant les années qui suivirent, il s’impliqua pour fonder une petite ONG en soutien aux enfants soldats. C’est aussi à ce moment qu’il rencontra un couple qui l’adopta. Ce n’est qu’en 2006, à l’âge de 22 ans, qu’il sera démobilisé grâce au parrainage du Centre International de Développement et de Recherche (CIDR) auprès de la Commission nationale de démobilisation et de réinsertion au Congo.
La lecture du livre de Junior Nzita est bouleversante, mais nous inspire à œuvrer pour la paix – c’est pourquoi nous avons rencontré cette personne. La courte entrevue qui résulte de nos conversations révèle la maturité d’un jeune homme qui a réussi à transmuter ses blessures. C’est une rencontre avec une personne dont l’enfance a grandement été hypothéquée, mais qui a réussi à faire un cheminement moral et psychologique important.
Avec le recul, dites-nous ce que vous avez ressenti lorsqu’on vous a capturé?

Je me suis senti traumatisé. À 12 ans, c’est anormal de porter les armes et de tirer sur les gens. C’était dur.

Quels étaient les moyens pour vous rendre dociles dans l’entrainement?

Il y avait de la propagande militaire qui nous disait que la guerre protégeait la population maltraitée par le gouvernement en place. Aussi, à ceux qui tentaient de fuir, on forçait leurs compagnons de les fusiller. Cela nous faisait peur. Nous vivions la torture au quotidien.

Lorsque vous étiez malade ou blessé, quels étaient les soins offerts?

Il n’y avait pas de soins infirmiers dans l’armée. Lorsque j’ai été très malade, on m’a conduit à l’hôpital. À la fin de son service, il n’y a pas non plus de soins psychologiques contre les traumatismes.

Étiez-vous payé pour votre service?

Non, je n’étais pas payé et à la fin je n’ai pas eu de prime non plus.
Les enfants soldats sont des esclaves.

Pourquoi capture-t-on des enfants pour en faire des soldats?

Premièrement, les enfants soldats servent de bouclier humain parce qu’on les met en première ligne au front, ce qui sert à diminuer les munitions de l’ennemi. Ensuite, l’enfant soldat ne contredit pas, ne se rebelle pas, et ne réclame pas son dû. Enfin, puisqu’il est vu comme un bourreau par sa communauté, il n’a pas de place où aller s’il fuit – il peut même être arrêté comme rebelle et emprisonné. Les enfants soldats n’ont pas la capacité d’analyse pour comprendre ce qu’il leur arrive et sont en fait des victimes à la merci des adultes qui les utilisent pour servir leurs intérêts.

Vous dites avoir vécu un calvaire. En quoi consiste-t-il principalement?

À côté des atrocités de la guerre dont je parle dans mon livre, il y a une torture morale que j’ai subie. Car comme enfant kidnappé, on nous coupe de notre famille et de notre communauté. On est captif de cette armée. Puis on voit les enfants civils libres avoir des parents qui les accueillent à la sortie de l’école. Ils ont une vie normale, mais on ne peut pas avoir cette vie. On ne peut pas fuir et on a perdu nos familles. Il est inhumain de soumettre des enfants à des exercices de guerre et de les priver de l’amour fraternel d’une famille. C’est pourquoi la rencontre de ma famille adoptive a été si importante pour moi. C’est comme si je retrouvais une enfance qui m’a été volée.

Comment avez-vous fait pour garder votre humanité?

J’ai reçu une éducation chrétienne avant d’être kidnappé – j’ai continué à pratiquer ma foi chrétienne dans ma seconde vie avec ma famille adoptive. Je pense que la foi et la prière m’ont beaucoup aidé à garder mon humanité. Aussi le fait d’être accepté comme le fils d’une famille après ces années atroces.
Ma résilience est venue surtout lorsque j’ai commencé à aider les enfants blessés par la guerre ou rendus orphelins. Car « Junior, 12 ans » est encore kidnappé à travers le pays. Il faut aider ces jeunes.
Maintenant je contribue à la protection des enfants orphelins.

Quel message voulez-vous diffuser avec cette entrevue?

En premier lieu, en mon nom et en celui des enfants soldats, je veux remercier  l’ACAT de la République démocratique du Congo pour leur aide.
En second lieu, j’interpelle les membres des ACAT des pays riches pour qu’ils prennent conscience de ce problème et de leur responsabilité. Les guerres en RDC ont été financées par l’exploitation minière entre autres de diamants et de coltan. Il faut en prendre conscience et militer pour de meilleures pratiques d’exploitation minière.
On doit participer à éradiquer le phénomène des enfants soldats en encourageant les ONG de défense des droits de la personne qui peuvent favoriser la réinsertion de ces jeunes. Il ne faut pas les rejeter, ils ont une place dans la société, il faut leur donner la chance de faire leur place.
Pour les jeunes canadiens, ils pensent que la guerre est un sujet d’Histoire, mais non, c’est une réalité très actuelle. Il y a des enfants qui ne vont pas à l’école, qui ont perdu leur famille et qui tirent de vraies balles sur des personnes. Continuez vos études et militez pour la paix, la non-violence et la démilitarisation!

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