Article de Laïla Faivre.
L’ancien président tchadien, Hissène Habré, a été condamné le 30 mai 2016 à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité, torture, viols, exécutions, esclavage et enlèvements [1]. C’est le premier procès intenté contre un dictateur sur le sol africain en vertu de la compétence universelle. La détermination et le courage des victimes ont joué un rôle crucial et déterminant pour l’obtention de ce verdict.
Ce procès ouvert en juillet 2015 est le résultat de longues péripéties et tentatives par le Sénégal de ne pas avoir à juger cet ancien chef d’État tchadien. Poussé par la communauté internationale et d’autres pays africains, le Sénégal a finalement créé avec l’Union africaine un tribunal spécial, la Chambre africaine extraordinaire d’Assises, permettant de mettre en œuvre le principe de compétence universelle pour une meilleure justice dans la lutte contre l’impunité.
Le haut-commissaire des droits de la personne, Zeid Ra’ad Al Hussein, a rapidement réagi à la publication de ce verdict en saluant la condamnation exemplaire et historique de l’ancien président du Tchad. Dans un communiqué de presse, il déclare son soutien aux victimes d’Habré et vient également rappeler l’importance d’assurer une justice capable de juger des chefs d’État et autres dirigeants qui commettent de terribles crimes :
« Dans un monde meurtri par un flot ininterrompu d’atrocités, les répercussions de ce verdict sont mondiales. Bien qu’il puisse faire l’objet d’un appel, ce verdict envoie un message clair aux personnes responsables de graves violations des droits de l’homme à travers le monde pour leur dire que nul n’est au-dessus de la loi et qu’elles pourraient aussi être traduites en justice pour leurs crimes » [2].
Dès que le Sénégal a décidé d’engager les poursuites à l’encontre de l’ancien président tchadien, l’affaire a très vite revêtu un caractère médiatique et historique. Il s’agit, en effet, du premier procès au monde dans lequel un ex-chef d’État est traduit devant une juridiction d’un autre pays pour crimes contre l’humanité. Au travers de ce procès, c’est l’exercice de la compétence universelle qui est consacré, principe selon lequel tout État est dans l’obligation de poursuivre et de condamner les auteurs des crimes les plus graves, tels que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les génocides ou encore la torture, et ce, quel que soit le lieu où le crime a été commis, et sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes.
Le fondement de cette compétence internationale réside dans la soif de justice universelle, contribuant ainsi à détruire le mur d’impunité derrière lequel les bourreaux s’abritaient pour couvrir leurs crimes. Pour cela, la communauté internationale a considéré que les justices nationales devaient pouvoir juger ces crimes au-delà de leurs frontières, observant qu’ils étaient d’une gravité si exceptionnelle qu’ils touchaient l’ensemble des citoyens. Cette affaire est donc interprétée comme emblématique pour la justice internationale et pour l’exercice de la compétence universelle [3].
Ce qui vient renforcer l’importance d’une telle initiative, c’est que ce procès vise également à répondre aux griefs croissants contre la Cour pénale internationale de La Haye, accusé de ne poursuivre que des dirigeants africains, en montrant ainsi aux yeux du monde que le continent peut et a la capacité de les juger lui-même. Comme le met en évidence le caractère singulier de cette instance juridictionnelle, au travers d’une revendication : une juridiction africaine pour une affaire africaine [4].
La médiatisation de cette affaire est également due à la détermination sans faille de l’Association des victimes des crimes et répressions politiques au Tchad (AVCRP), fondée par Souleymane Guengueng, afin d’obtenir justice face aux violences du régime Habré. Mentionnons également la contribution de Jacqueline Moudeina, avocate tchadienne qui a survécu en 2001 à une attaque à la grenade d’un complice de Habré et qui mène depuis la lutte avec les victimes. Une des stratégies adoptées par l’avocate lors du procès a notamment été de faire témoigner publiquement les femmes victimes de violences et d’abus sexuels sous le régime de Hissène Habré. Stratégie ambitieuse et efficace qui consacre surtout une rupture dans une société tchadienne marquée par le silence des victimes. Dans cette affaire qui semblait à maintes reprises enterrée, les victimes n’ont pas cessé de clamer leur détermination à l’échelle locale comme internationale afin que soient établies la vérité et la justice. Elles ont engagé des poursuites au Tchad, au Sénégal et en Belgique, et sont allées devant le Comité des Nations Unies contre la torture, devant l’Union africaine et, avec le soutien de la Belgique, devant la Cour internationale de justice. Un tel acharnement n’a pas échappé au New York Times qui reconnaît que :
« De nombreux pays africains ont souffert de dictateurs violents, de seigneurs de guerre et de bains de sang impunis. Mais l’affaire Habré se distingue grâce à des victimes déterminées qui ont été conseillées et soutenues par Human Rights Watch et d’autres activistes » [5].
La présidence tchadienne sous Hissène Habré
C’est en 1982, que Hissène Habré et les Forces armées du Nord organisent un coup d’État et renversent le président Goukoni Oueddei, au pouvoir depuis 1979. Le résultat de cette prise de pouvoir se manifeste autour de la consécration d’un régime de parti unique marqué par de graves et constantes violations des droits de la personne et des libertés individuelles ainsi que de vastes campagnes de violence à l’encontre de son propre peuple. Durant sa présidence, on déplore une intensification des persécutions par période, des arrestations collectives et des meurtres en masse, à l’encontre des différents groupes ethniques. Il percevait les leaders goranes comme des menaces à son régime dont lui-même et ses membres sont d’origine. Cela a notamment été le cas des Saras et d’autres groupes sudistes en 1984, ou encore des Arabes tchadiens, des Hadjeraïs en 1987 et des Zaghawas en 1989-90. Si aujourd’hui la condamnation de l’ancien président confirme sa responsabilité dans ces actes à l’encontre du peuple tchadien, il n’en demeure pas moins que le nombre exact des victimes de Habré reste à ce jour inconnu. Une Commission d’enquête du Ministère Tchadien de la Justice, établie par son successeur Idriss Deby Itno, a accusé en 1992 le gouvernement Habré de 40 000 assassinats politiques et de torture systématique. La plupart des exactions furent perpétrées par sa terrifiante police politique, la Direction de la Documentation et de la Sécurité, dont les directeurs ne rendaient exclusivement des comptes qu’à Hissène Habré [6].
Sources
ACAT France. 2015. Dossier : La compétence universelle, une arme contre l’impunité. Dans Courrier de l’ACAT #328. http://www.acatfrance.fr/public/c328-int-web-dossier-comp-univ.pdf [3]
France 24. 2016. L’ex-dictateur tchadien Hissène Habré attend son verdict à Dakar. 30 mai 2016. http://www.france24.com/fr/20160530-tchad-proces-dakar-senegal-president-hissene-habre-crime-contre-humanite [5]
Haut-commissariat des droits de l’Homme. 2016. Verdict historique dans le procès Habré. http://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/VerdictHistorique.aspx [2]
Human Rigths Watch. 2009. Les poursuites contre Hissène Habré, un « Pinochet africain ». https://www.hrw.org/fr/news/2009/02/11/les-poursuites-contre-hissene-habre-un-pinochet-africain [6]
Human Rights Watch. 2016. Point de vue : Hissène Habré – Le long chemin vers la justice. https://www.hrw.org/fr/news/2016/05/30/point-de-vue-hissene-habre-le-long-chemin-vers-la-justice [4]
La Presse. 2016. Hissène Habré coupable de crimes contre l’humanité. 30 mai 2016. http://www.lapresse.ca/international/afrique/201605/30/01-4986468-hissene-habre-coupable-de-crimes-contre-lhumanite.php [1]