En janvier 2017, Alexandre Bissonnette a commis six meurtres à la mosquée de Québec. Il risque une peine d’emprisonnement à perpétuité, sans pouvoir déposer une demande de libération conditionnelle avant 150 ans. Cette sentence potentielle constituerait dans les faits une peine de mort déguisée, semblable à l’attente interminable d’un condamné dans un « couloir de la mort », une pratique considérée comme de la torture psychologique.
En 1976, le Canada a aboli la peine de mort, refusant ainsi que la finalité de tout châtiment soit une vengeance comptable – la loi du Talion, œil pour œil, dent pour dent –, fondée sur le nombre d’homicides commis. L’ACAT Canada désire rappeler le fondement d’un tel choix de société. L’assassin demeure une personne humaine, dont la dignité est inaliénable. Une peine si longue (150 ans !) qu’elle dépasse l’entendement ne peut être justifiée que par la négation de son humanité.
Soulignons ici les paroles du pape François qui, déjà en 2015, affirmait : « La réclusion à perpétuité, de même que les peines qui, de par leur durée, comportent l’impossibilité pour le condamné de projeter un avenir en liberté, peuvent être considérées comme des peines de mort occultées puisque par celles-ci, l’on ne prive pas le coupable de sa liberté, mais l’on cherche à le priver d’espérance. Mais si le système pénal peut s’emparer du temps des coupables, il ne pourra jamais s’emparer de leur espérance » [1].
Il ne s’agit pas ici de minimiser l’atrocité du crime ni son impact sur les victimes, les proches et l’ensemble de la collectivité, mais plutôt d’affirmer, dans la punition même, les valeurs et les objectifs mis de l’avant dans notre société pour tous ses citoyens. Qu’il soit ou non en liberté conditionnelle, un condamné à perpétuité demeure, toute sa vie durant, lié au Service correctionnel. La libération conditionnelle n’est jamais garantie, et les modalités en sont fixées au cas par cas. Elle représente toutefois une ligne d’horizon pour amorcer une démarche de prise de conscience, de repentance et de transformation en profondeur, préalable indispensable à une éventuelle réinsertion dans la communauté, le but ultime de l’incarcération.
Au Canada, l’article 12 de la Charte des droits et libertés protège les citoyens des peines cruelles et inusitées, d’où la remise en question par les avocats d’Alexandre Bissonnette de la constitutionnalité de l’article du Code criminel qui permet de rendre consécutives les peines à perpétuité. Dès 1987, l’arrêt Smith (Cour suprême du Canada) précise que, pour ne pas être cruelle et inusitée, la durée d’une peine ne doit pas porter atteinte à la dignité humaine et ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire « pour atteindre un objectif social régulier, compte tenu des objectifs pénaux légitimes ». Ces objectifs touchent les dimensions punitive, éducative et sécuritaire. Sans espoir de libération conditionnelle, la punition seule demeure. Pour sa part, la Cour européenne des droits de l’homme affirme, depuis l’arrêt Vinter en 2013, que le caractère incompressible de la peine et l’impossibilité de solliciter un réexamen se soldent par un traitement inhumain ou dégradant.
Une peine à perpétuité qui respecte la dignité humaine permet un réexamen après 25 ans, selon les normes internationales. Même le Statut de la Cour pénale internationale, laquelle est chargée de juger les crimes les plus graves comme ceux contre l’humanité, prévoit qu’après 25 ans de peine à perpétuité il faut procéder à son réexamen, dans le but de déterminer s’il y a lieu de la réduire (art. 110).
L’ACAT Canada considère qu’Alexandre Bissonnette mérite une peine à perpétuité, certes, mais qu’il doit avoir le droit de faire une demande de libération conditionnelle dans un délai réaliste et humain. Au-delà de 25 ans, c’est sa dignité humaine que l’on bafoue et nos valeurs collectives que nous trahissons.
Signé par le conseil d’administration de l’ACAT Canada
Source
Pape François. 2015. Lettre du Pape François au président de la Commission internationale contre la peine de mort. w2.vatican.va/content/francesco/fr/letters/2015/documents/papa-francesco_20150320_lettera-pena-morte.html [1]