Cela ne fait aucun doute, le Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada (BEC) et la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) considèrent que toute personne, même incarcérée, a une dignité qu’il faut protéger. Dans une enquête conjointe sur les personnes âgées ou mourantes détenues dans les pénitenciers fédéraux, ils affirment que « les personnes âgées sous garde fédérale n’ont pas des conditions de détention qui garantissent leur propre sécurité et leur dignité, et la possibilité de les réinsérer socialement est souvent négligée et oubliée » [1]. Or, l’atteinte à la dignité dans un contexte de privation de liberté constitue, pour le Comité des Nations unies contre la torture, un traitement dégradant, voire de la torture, si la douleur physique ou psychologique est aiguë et induite intentionnellement pour des fins particulières.

Notre résumé offre une lecture transversale du rapport de cette enquête, publié en février 2019 et intitulé Vieillir et mourir en prison, afin de mettre en relief l’atteinte par des fonctionnaires du Canada à la dignité humaine des personnes vulnérables. Le rapport comporte 8 constatations et 16 recommandations. Notre but n’est pas de toutes les énumérer. Toutefois, l’angle des droits de la personne et de la dignité permet de percevoir la discrimination en raison de l’âge, les besoins en mesures d’adaptation et d’accessibilité. Afin de compléter cette réflexion, des normes internationales appuieront les recommandations du rapport.

« Le Service correctionnel du Canada (SCC) ne réussit généralement pas à atteindre des objectifs fondamentaux de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), soit de prendre des mesures de garde sécuritaires et humaines et d’aider à la réadaptation et à la réinsertion sociale des personnes délinquantes » [2]. Non seulement le Canada ne respecte pas les objectifs de la LSCMLC, mais il fait également preuve d’inaction dans la protection de la dignité de ces personnes.

Voici quelques exemples concrets d’atteinte au respect et à la dignité, qui démontrent que le SCC ne reconnaît pas les multiples vulnérabilités des personnes âgées ou mourantes : obligation de travailler pour recevoir une allocation ; isolement cellulaire injustifié (même s’il est manifeste que l’isolement prolongé brise la personnalité [3]) ; recours à des contraintes physiques superflues, brutalité et intimidation ; leur santé n’est pas protégée adéquatement ; on ne leur fournit pas le confort nécessaire avec des matelas médicaux ou des chaussures orthopédiques ; étant bousculées dans la population régulière, elles n’ont pas de temps spéciaux pour les accès à la cantine et au gymnase ; elles sont privées de visite médicale quotidienne quand cela s’avérerait nécessaire ; elles ne sont pas prises en charge par une équipe compétente lorsque la démence progresse, etc.

Les exemples de problèmes d’accessibilité sont aussi révélés : pas de rampe pour les fauteuils roulants ; portes de cellule trop étroites pour entrer avec un fauteuil roulant ou un déambulateur, ou « marchette » ; sentiers cahoteux avec des dénivellations ; pas de fourgonnette adaptée pour les transports au tribunal ou à l’hôpital ; cabinets de douche difficiles d’accès à cause d’un rebord surélevé ; absence de toilettes pour personnes handicapées dans les centres de soins de certaines prisons, etc.

Le rapport conjoint du BEC et de la CCDP aborde les droits de la personne sous l’angle de la notion de dignité. Mais qu’est-ce que la dignité humaine ? « La dignité de la personne humaine est le dogme premier, l’axiome de base au fondement du système juridique, en réalité son but ultime » [4]. Citée en préambule dans plusieurs traités protégeant les droits humains, la notion de dignité est, dans son étymologie grecque, un axiome « indémontrable et indérogeable » [5] ou un postulat relevant de la dogmatique, ce qui laisse place aux abus en l’absence de définition précise. En fait, c’est quand elle est atteinte ou retirée qu’on en saisit l’importance [6] et, très souvent, sa mise en jeu survient trop tard. « Avoir juridicisé le principe de dignité de la personne humaine résulte de ce que cette dignité ne se démontre pas » [7]. Les enquêteurs du rapport que nous résumons parviennent néanmoins à démontrer sa violation.

Le SCC a mis sur pied l’approche « Vieillir sur place », pour donner l’impression d’intervenir en faveur des personnes incarcérées vieillissantes. Aux yeux des enquêteurs, toutefois, cette approche ne fonctionne pas et viole la dignité de la personne humaine, parce que la prison n’est pas un milieu digne et convenable pour vieillir et mourir. Ils préféreraient que les personnes vulnérables dont l’état de santé se détériore soient confiées à un CHSLD ou à toute autre solution communautaire. Malgré ses efforts, le SCC n’arrive pas à « s’acquitter de ses obligations de respecter et de protéger la dignité, les caractéristiques, les besoins et les droits inaliénables des personnes âgées sous garde fédérale » [8]. De plus, selon le rapport d’enquête, les placements dans la collectivité coûteraient moins cher et garantiraient plus de dignité.

Les plus longues peines sont servies par des personnes âgées qui sont parfois détenues depuis 40 ou 50 ans, bien après la date à laquelle elles avaient droit à une demande de libération conditionnelle. Or on sait que les longues périodes de détention peuvent porter atteinte à la dignité humaine : « Tout emprisonnement de longue durée peut entraîner des effets désocialisants sur les détenus. Outre le fait qu’ils s’institutionnalisent, de tels détenus peuvent être affectés par une série de problèmes psychologiques (dont la perte d’estime de soi et la détérioration des capacités sociales) et tendent à se détacher de plus en plus de la société vers laquelle la plupart d’entre eux finiront par retourner » [9]. Pour ceux qui ne retourneront pas dans la société, « les longues périodes d’incarcération ne servent plus à atteindre l’objectif ou l’intention du tribunal au moment de la détermination de la peine et ne sont peut-être plus nécessaires à la sécurité publique » [10].

Ultimement, la mort en prison constitue une aberration. Lorsque la personne incarcérée arrive au stade des soins palliatifs, les centres de détention ne parviennent pas à lui garantir une fin de vie dans la dignité.

Dans leur rapport, les enquêteurs démontrent l’incapacité du système correctionnel à assurer la dignité des personnes vieillissantes incarcérées. Plusieurs règles internationales [11] sont transgressées, entre autres l’obligation de ne pas discriminer, d’assurer la sécurité des personnes incarcérées et de prodiguer des soins de santé adaptés et comparables à ce qu’on retrouve à l’extérieur des murs. Dans plusieurs cas où la santé n’est pas prise en charge, on peut parler de traitements inhumains, surtout pour les personnes aux prises avec une maladie chronique comme le diabète, l’Alzheimer ou le Parkinson, ou pour les personnes avec de multiples vulnérabilités.

Le rapport conjoint du BEC et de la CCDP propose des solutions qui demandent une redistribution des fonds, « de manière à payer pour les placements dans la collectivité qui répondraient mieux aux préoccupations en matière de dignité » [12]. Les solutions communautaires devraient être financées pour répondre aux besoins de ce segment vulnérable de la population carcérale. La Commission canadienne des libérations conditionnelles (CCLC) devrait répondre promptement à la dégradation de la santé des personnes incarcérées et accorder la libération pour des raisons de compassion.

Résumé de Nancy Labonté, coordonnatrice

Sources

Association pour la prévention de la torture (APT) et Réforme pénale internationale (PRI). 2013. Trouver un Équilibre entre Sécurité et Dignité en milieu carcéral : un cadre pour un monitoring préventif. www.apt.ch/content/files_res/balancing-security-and-dignity-in-prisons_fr-1.pdf [3]

Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada et Commission canadienne des droits de la personne. 2019. Vieillir et mourir en prison : enquête sur les expériences vécues par les personnes âgées sous garde fédérale. www.oci-bec.gc.ca/cnt/rpt/oth-aut/oth-aut20190228-fra.aspx [1] [2] [8] [10] [12]

Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT). 2006. Les normes du CPT. www.refworld.org/pdfid/47149bdb2.pdf [9]

Fabre-Magnan, Muriel. 2007. La dignité en Droit : un axiome. Dans Revue interdisciplinaire d’études juridiques, vol. 58, no 1. www.cairn.info/revue-interdisciplinaire-d-etudes-juridiques-2007-1-page-1.htm# [4] [5] [7]

Office des Nations unies contre la drogue et le crime. 2016. Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela). www.unodc.org/documents/justice-and-prison-reform/GA-RESOLUTION/F-book.pdf [11]

Pech, Thierry. 2001. La dignité humaine. Du droit à l’éthique de la relation. Dans Revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale, vol. 3, no 2. journals.openedition.org/ethiquepublique/2526 [6]