Les autorités chinoises n’ont jusque-là jamais prononcé de condamnation à mort à l’encontre d’un défenseur des droits humains. Pourtant, elles sont responsables du décès de plusieurs d’entre eux. Ce refus délibéré de leur accorder des soins vitaux constitue une forme de peine inhumaine, voire de torture.

Une adaptation de l’étude de Jade Dussart,
responsable des programmes Asie à l’ACAT France [1]

Pensons par exemple à Huang Qi, qui risque à tout moment de mourir au fond de sa cellule à cause de maladies graves non traitées, ou encore aux cinq morts en détention au cours des cinq dernières années, souvent dans des circonstances mystérieuses : Cao Shunli, morte de tuberculose en 2014 ; Tenzin Delek Rinpoche, en 2015 ; Liu Xiaobo, mort en 2017 d’un cancer du foie non traité ; Yang Tongyan, en 2017 ; ou Muhammed Salih Haji, en 2018. Toutes ces personnes sont des défenseurs des droits humains, à qui la Chine a fait violence en les enfermant sans leur offrir de soins médicaux adéquats.

Un pays qui pratique la répression

Considérons ces quelques statistiques. Sur plus de 800 prisonniers politiques en Chine en 2018 (source : Rights protection Network/Weiquanwang), 11 défenseurs sont à haut risque et on leur refuse des soins en détention (source : Chinese Human Rights Defenders).

En août 2016, des experts de l’ONU ont souligné le cas de l’avocat Guo Feixiong, à qui la Chine refusait des soins et des examens pour saignements hémorragiques, déclarant que « son profil public de défenseur des droits humains [semblait] avoir été la cause et le facteur aggravant d’un déni de soins médicaux adaptés et de mauvais traitements » [2].

Depuis 2012, la Chine est dirigée par Xi Jinping, qui n’a fait que rendre le pouvoir encore plus autoritaire. La répression contre la société civile s’est intensifiée, et le gouvernement restreint chaque jour davantage les droits et les libertés fondamentales de ses citoyens. Ces dérives autoritaires ont fait de la Chine l’une des plus grandes prisons du monde.

Mais derrière les barreaux, si les peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants touchent toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale, les risques de torture sont encore plus élevés lorsque les détenus sont considérés comme « sensibles » : défenseurs des droits humains, avocats, journalistes, voix critiques du régime, communautés religieuses et minorités ethniques, en particulier les Tibétains et les Ouïghours.

Schéma récurrent

Souvent sourdes aux appels des familles et des avocats, les autorités chinoises refusent de fournir des soins médicaux adaptés, et ce, dans un seul but : punir. La sanction par déni de soins semble refléter une politique tacite du gouvernement chinois, qui serait utilisée de façon disproportionnée à l’encontre des prisonniers politiques.

Le schéma est récurrent. La santé des prisonniers – dont certains présentent des affections préexistantes – décline à cause d’actes de torture et de mauvais traitements, combinés aux conditions de détention épouvantables qui règnent dans les prisons chinoises. Les soins procurés en prison sont pratiquement inexistants. Dans certains cas, des traitements médicamenteux inappropriés sont administrés aux détenus. Les demandes de libération conditionnelle pour raisons médicales sont rejetées, sans explications. Et ceux qui parviennent à obtenir l’autorisation de quitter la prison pour être hospitalisés se trouvent déjà dans une phase extrêmement avancée de leur maladie.

Absence d’État de droit

Ces pratiques systématiques soulignent l’absence cruelle d’État de droit en Chine. La loi chinoise prévoit que les individus en détention provisoire ou emprisonnés bénéficient rapidement de soins médicaux adaptés. Dans la réalité, comme c’est souvent le cas en Chine, la législation est loin d’être appliquée. Les dispositions et règlements relatifs au traitement des prisonniers sont lacunaires. D’un point de vue juridique, rien ne garantit que les médecins en poste dans les centres de détention et les prisons seront à même d’établir des diagnostics et de prendre des décisions médicales de façon indépendante, sans interférence des forces de l’ordre ou des officiels du Parti communiste. Dans les faits, les demandes pour recevoir des soins médicaux à l’extérieur doivent être approuvées par le directeur du centre de détention, ce qui ouvre la voie à des prises de décisions arbitraires dans les cas politiquement sensibles.

Obtenir une libération conditionnelle pour raisons médicales s’avère également très difficile. Le Code de procédure criminelle chinois ne permet aux détenus et aux prisonniers de l’obtenir qu’en cas de « maladie grave », qui est entendue dans son acception la plus restrictive. Les traitements doivent avoir échoué durant six mois avant que les prisonniers puissent y être admissibles. Cela s’est traduit dans plusieurs cas par des libérations conditionnelles intervenant alors que les prisonniers n’avaient plus aucune chance de s’en sortir. Par ailleurs, l’absence d’obligation légale de rendre des comptes sur les décès de militants en prison ou à la suite de leur remise en liberté pour raisons médicales concède une impunité totale aux autorités pénitentiaires. Dostoïevski considérait que l’on pouvait mesurer le degré de civilisation d’une société en visitant ses prisons. À cet égard, il est plus que permis de douter de la grandeur de la plus ancienne civilisation humaine, vantée par son président Xi Jinping, tant que celle-ci laissera mourir à petit feu dans ses prisons ses défenseurs des droits humains.

Que faire ?

La communauté internationale s’est prononcée à plusieurs reprises contre les privations de traitements médicaux, considérées comme une forme de torture. Priver délibérément les détenus d’un traitement médical enfreint la Convention contre la torture, ratifiée par la Chine en 1988, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que la Chine a signé en 1998 sans jamais le ratifier, ainsi que les Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus, adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies en 1990. Sans oublier les Règles Nelson Mandela, qui stipulent encore plus précisément que « l’État a la responsabilité d’assurer des soins de santé aux détenus, ceux-ci devant recevoir des soins de même qualité que ceux disponibles dans la société et avoir accès aux services nécessaires sans frais et sans discrimination fondée sur leur statut juridique » (§24) [3].

Il faut en parler, il faut que cette situation soit bien exposée au public. C’est pourquoi nous vous demandons d’écrire à l’ambassadeur de Chine aux Nations unies. Nous devons lui demander d’intervenir afin de faire respecter la loi et les engagements internationaux relatifs au traitement des détenus, sans discrimination aucune en raison des faits reprochés aux personnes, et d’assurer à ces détenus une protection entière à l’égard de toute forme de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants, notamment à l’égard du refus de soins ou de libération conditionnelle pour raison de santé.

Appel à l’action préparé par Nancy Labonté, coordonnatrice


Vous pouvez agir

Lettre d’action en format .pdf : Lettre pour la Chine pdf 2019-10
Lettre d’action en format modifiable .docx : Lettre pour la Chine docx 2019-10


Sources

Dussart, Jade. 2019-05. En Chine, la prison tue. Dans Humains no 11 – La torture par ceux qui la combattent. www.acatfrance.fr/public/h11-focus.pdf [1]

Nations unies. 2016. Chine : des experts de l’ONU appellent à mettre fin au mauvais traitement d’un défenseur des droits humains. Sur ONU Info. news.un.org/fr/story/2016/08/340832-chine-des-experts-de-lonu-appellent-mettre-fin-au-mauvais-traitement-dun#.V6ZNT6aviJI [2]

Office des Nations unies contre la drogue et le crime. 2016. Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela). www.unodc.org/documents/justice-and-prison-reform/GA-RESOLUTION/F-book.pdf [3]