Certaines personnes incarcérées utilisent leurs cavités corporelles pour introduire des substances illicites en établissement correctionnel. S’ils ont des motifs de croire qu’une personne tente de faire entrer des objets interdits en prison, les agents correctionnels peuvent recourir à une cellule nue. Cette dernière n’a qu’une toilette sans eau courante, afin que les selles puissent être examinées pour retrouver toute substance illicite. Si une telle installation s’avère inefficace pour les femmes qui camouflent des objets dans leur vagin, elle est tout de même utilisée. Le protocole du placement en cellule nue prévoit des fouilles à nu fréquentes, il précise que la lumière doit demeurer allumée 24 h par jour et qu’un agent surveille constamment la personne incarcérée, surtout lorsqu’elle défèque.

Toutefois, il existe des manières moins invasives et plus respectueuses d’inspecter les cavités corporelles ; cela nous donne à penser que l’usage des cellules nues est punitif – et inefficace dans le cas des femmes, qui peuvent dissimuler des objets interdits dans leur vagin. En effet, la directive du commissaire 566-7 prévoit la possibilité d’un examen médical des cavités corporelles par un médecin, ou même d’un examen par radiographie [2]. L’usage des cellules nues est donc archaïque.

Un détenu a porté plainte au Bureau de l’enquêteur correctionnel (BEC) à la suite d’un placement de 9 jours en cellule nue. Le BEC a de nouveau évalué la situation – il l’avait déjà fait en 2012, entraînant le SCC à changer ses politiques – et a observé une mise en œuvre déficiente. À l’époque, il recommandait notamment que des garanties procédurales et juridiques soient prévues [3]. Or, il constate qu’encore aujourd’hui les personnes incarcérées dans le système fédéral ne reçoivent pas nécessairement un avis écrit expliquant les raisons du placement, qu’on ne leur offre pas le droit à l’assistance d’un avocat sans délai, que les Services de santé ne sont pas toujours informés et que l’examen inconstant des placements par le directeur ne leur donne pas forcément l’occasion de formuler des observations écrites qui seront revues lors de l’examen [4].

Lisa Adams a intenté un recours juridique à la suite de son placement de 16 jours en cellule nue à l’Établissement Nova, à Truro, en Nouvelle-Écosse. En Cour suprême de cette province, les avocats du gouvernement ont reconnu que, dans ce cas-ci, il y avait eu violation de la Charte canadienne des droits et libertés, mais que « la validité constitutionnelle de la pratique ne peut pas être contestée sans que des témoins experts soient appelés » [5].

Madame Adams explique que cet épisode l’a profondément blessée psychologiquement. Atteinte de crises de panique et de paranoïa en raison de la surveillance constante, elle affirme avoir ressenti « qu’elle n’était pas considérée comme un être humain » [6]. La Société Elizabeth Fry de Nouvelle-Écosse, qui défend sa cause, parle de traitement inhumain [7] ; dans son rapport, le BEC insiste pour dire qu’au-delà de 72 heures le placement en cellule nue devient une mesure punitive dégradante [8].

La dignité de la personne incarcérée est atteinte par les obligations du personnel carcéral, qui doit « observer et documenter l’ensemble du temps qu’un détenu passe à la toilette, rédiger des rapports de fouille et d’observation après chaque défécation, porter de l’équipement de protection, chercher des objets interdits et remettre tout objet saisi à un agent du renseignement de sécurité » [9]. C’est pourquoi le BEC « recommande que les placements en cellule sèche excédant 72 heures soient explicitement interdits dans le système correctionnel fédéral » [10].

La réponse du SCC

Le SCC se défend en soulignant les changements législatifs qui prévoient que la personne incarcérée « doit toujours avoir de la literie, de la nourriture, des vêtements et des articles de toilette adéquats. Le SCC doit fournir un accès raisonnable à des services d’aide médicale, psychologique et spirituelle, et un professionnel de la santé doit rendre visite au détenu quotidiennement. Les activités sont autorisées, sauf si elles compromettent la récupération des objets interdits » [11].

Il argumente de plus que « les placements en cellule sèche excédant 72 heures ne sont pas interdits car l’évacuation des selles à une fréquence de plus de 72 heures n’est pas hors du commun. En fait, plusieurs publications médicales soutiennent que certaines personnes n’évacuent leurs selles qu’une (aux 168 heures) ou deux fois (aux 80-90 heures) par semaine. C’est donc pour cette raison que les plus récents changements législatifs n’ont pas imposé des limites de temps mais ont plutôt imposé une surveillance médicale » [12].

Le SCC a de plus l’arrogance de souhaiter intégrer à la directive 566-7 des mesures de surveillance supplémentaires, comme si l’intimité de la personne incarcérée n’avait aucune valeur à cause de son infraction.

Appel à l’action

En plus d’être un traitement inhumain et une peine dégradante, selon respectivement la Société Elizabeth Fry et le BEC, il y a motif de croire que le placement en cellule nue au-delà de 72 heures peut constituer de la « torture blanche », en raison de la surveillance constante de l’intimité de la personne incarcérée et de l’illumination de la cellule jour et nuit.

Incidemment, selon les observations du BEC, le SCC n’applique pas les garanties procédurales.

Nous vous suggérons d’écrire à la commissaire du SCC (modèle de lettre en annexe ou pétition en ligne) pour réitérer la recommandation du BEC et souligner que, en plus de violer la Charte canadienne des droits et libertés (articles 7, 8, 10, 12), les pratiques des agents correctionnels violent le droit international en matière de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants. Nous soulignons au passage que la torture est proscrite au Code criminel (art. 269.1) et que le choix du placement en cellule nue est inutilement punitif, puisque des méthodes médicales comme l’examen des cavités par un médecin ou même la prise de radiographies sont plus efficaces.


Vous pouvez agir

Pétition en ligne : www.change.org/p/anne-kelly-commissaire-du-scc-la-pratique-archa%C3%AFque-du-placement-en-cellule-nue

Lettre d’action :


Sources

Acadie Nouvelle. 2020-10-10. Une Néo-Brunswickoise enfermée dans une cellule d’isolement pendant 16 jours. www.acadienouvelle.com/actualites/2020/11/10/une-neo-brunswickoise-enfermee-dans-une-cellule-disolement-pendant-16-jours/ [5]

Bureau de l’enquêteur correctionnel. 2012. Rapport annuel 2011-2012. www.oci-bec.gc.ca/cnt/rpt/annrpt/annrpt20112012-fra.aspx [3]

Bureau de l’enquêteur correctionnel. 2020. Rapport annuel 2019-2020. www.oci-bec.gc.ca/cnt/rpt/annrpt/annrpt20192020-fra.aspx [1] [4] [8] [9] [10] [11] [12]

Radio-Canada. 2020-10-09. La Cour suprême de la N.-É. entend une cause contre le recours aux cellules nues. ici.radio-canada.ca/nouvelle/1748086/cause-contre-cellules-nues-systeme-carceral-canada [6] [7]

Service correctionnel du Canada. 2015. Directive du commissaire 566-7 : Fouille des délinquants. www.csc-scc.gc.ca/politiques-et-lois/566-7-cd-fra.shtml [2]