Article de Catherine Malécot

Un Rwandais jugé pour génocide à Paris ou à Montréal, un Afghan condamné au Royaume-Uni pour crimes de guerre, un dictateur tchadien poursuivi au Sénégal pour tortures et crimes contre l’humanité… Ces jugements par des États autres que ceux d’origine des accusés sont fondés sur la compétence universelle. La compétence universelle se définit comme la compétence exercée par un État qui poursuit les auteurs de certains crimes, quel que soit le lieu où le crime a été commis, et sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes. Sont visés les crimes les plus graves, tels les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le génocide, la torture… qui ne sauraient rester impunis.
Tous les États doivent édicter des lois leur permettant de mettre en œuvre la compétence universelle, définie par le droit international et reprise dans de nombreux traités. Le Canada dispose d’une loi de compétence universelle depuis le 23 octobre 2000, date à laquelle est entrée en vigueur la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Le grand enjeu est de l’utiliser de manière nette, cependant cela se fait selon des critères variables selon les pays. Le péril pour ce principe est, on le devine, la mise en œuvre réelle au risque parfois d’incidents diplomatiques ou de rétorsions économiques par le pays d’origine de l’accusé.
Le dossier préparé par l’ACAT France [1] que nous vous proposons de lire s’ouvre sur un article qui identifie les éléments nécessaires pour comprendre l’enjeu de la compétence universelle pour lutter contre l’impunité des crimes les plus graves, où les États ont à jouer un rôle essentiel. La grande impulsion de ce mouvement est donnée par les tribunaux de Nuremberg après la Seconde Guerre mondiale. Plus récent dans nos mémoires, la demande d’extradition du général chilien Augusto Pinochet à la Grande-Bretagne par l’Espagne qui voulait le juger sur le fondement de la compétence universelle. Mais, aujourd’hui, la pression contre la compétence internationale est réelle.
Un portrait de chasseur de dictateurs nous présente ensuite Red Brody, avocat américain qui traque depuis des années les dictateurs, qui aide des victimes au Salvador, en Haïti… Il sera ainsi, en raison de la solidité du dossier, à l’origine du premier procès, celui du dictateur tchadien, Hissène Habré [2]. L’on apprend aussi que les procès qui ont eu lieu jusqu’à ce jour l’ont été dans des pays qui ont mis en place des équipes composées de policiers, magistrats, légistes, spécialisés, en raison de la complexité de ces crimes et des questions de droit qu’ils soulèvent. Il apparait donc essentiel que tous les États développent des stratégies ciblées et déterminées pour que ce principe essentiel fonctionne réellement.
Le quatrième article du dossier aborde la question cruciale des limites et des controverses qui entourent la mise en oeuvre de la compétence universelle. Nombreuses sont donc les questions d’ordre législatif, juridique ou diplomatique. Le premier grand écueil réside dans les législations nationales déficientes et oublieuses de ce principe. Les dangers ne sont pas toujours là où on les attendrait le plus. Ainsi on pensera alors aux propos pour le moins sidérants du ministre canadien de la Justice, du précédent gouvernement, Vic Toews, déclarant en 2011 à CBC news [3] « It’s not up to Canada to prosecute people suspected of crimes against humanity,(…) it’s not realistic for Canada to investigate, prosecute and imprison people who commit crimes against humanity in other countries. Canada is not the UN. It’s not our responsibility to make sure each one of these faces justice in their own countries.»  Ce discours politique trouve un écho dans le dernier rapport annuel du Programme canadien sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre (2008-2011) [4] : «Les recours les plus dispendieux et à haute teneur en ressources sont les enquêtes et les poursuites criminelles relatives aux crimes de guerre – par conséquent, ces méthodes ne sont pas souvent utilisées.» Le Canada qui souhaite réintégrer les instances onusiennes, tel le Conseil de sécurité, devra réfléchir à l’exemplarité qu’il se doit, dès lors, de démontrer dans tous les domaines couverts par les droits de la personne.
L’article suivant propose une analyse de la situation française où l’on peut voir là aussi les tentatives de freiner la mise en œuvre de ce mécanisme. L’enjeu actuel est l’amélioration de la loi qui régit et organise la compétence universelle pour en rendre l‘exercice moins restrictif. Par exemple,  il faut que l’auteur présumé ait une résidence habituelle en France, que le crime soit incriminé dans le droit pénal du pays d’origine et que la Cour pénale internationale se soit déclarée non compétente.
Ce dossier se termine avec le témoignage poignant d’un père qui a perdu son fils en 1999 à Brazzaville et qui, réfugié en France, se bat pour que les responsables soient jugés. L’un d’eux a été arrêté en France, mais remis en liberté dans un imbroglio juridico-diplomatique. Malgré les efforts du Congo Brazzaville, la Cour de cassation (la plus haute instance judiciaire française) a rouvert la procédure, offrant à nouveau l’espoir pour ce père.

Sources

ACAT France. 2015. DOSSIER : La compétence universelle, une arme contre l’impunité. Dans Courrier de l’ACAT #328. http://www.acatfrance.fr/public/c328-int-web-dossier-comp-univ.pdf [1]
Gouvernement du Canada. 2011. Programme canadien sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Rapport 2008-2011. http://cbsa.gc.ca/security-securite/wc-cg/wc-cg2011-fra.html [4]
Human Rights Watch (s.d.). Blogs : Le procès de Hissène Habré. https://www.hrw.org/fr/blog-feed/le-proces-de-hissene-habre [2]
Payton, Laura. 2011. War crimes prosecution not up to Canada, Toews says. CBC News 3 août 2011. http://www.cbc.ca/news/canada/war-crimes-prosecution-not-up-to-canada-toews-says-1.1065599  [3]