Les prisons provinciales du Québec sont à nouveau sous la loupe des journalistes et des activistes en raison des mauvais traitements que subissent les personnes incarcérées. En effet, plusieurs articles ont dénoncé des situations préoccupantes dans les dernières semaines. Il y a eu le cas des migrants qui peuvent être emprisonnés sans limite dans des prisons provinciales, et ce, avec des criminels, d’un prisonnier ayant été battu par des gardiens de prison à la prison de Bordeaux alors qu’il était menotté dans sa cellule et le cas de Nicous D’Andre Spring, décédé à la prison de Bordeaux à la suite d’une intervention physique alors qu’il aurait dû être libéré la veille de son décès.


Vous pouvez agir

Lettre d’action :


Les mauvais traitements dans les prisons provinciales du Québec auront fait couler beaucoup d’encre à l’ACAT Canada[i] dans les dernières années, tant par la rédaction d’articles et d’appels à l’action. Malheureusement, la situation des dernières semaines montre que beaucoup demeure à améliorer et que les autorités peinent à respecter les lois applicables aux personnes privées de leur liberté.

Détention sans limites avec des criminels et isolement

À la suite d’une enquête, Radio-Canada rapportait en janvier dernier que des migrants peuvent patienter des années dans des établissements carcéraux sans jamais avoir commis un acte criminel. En effet, les lois canadiennes ne prévoient spécifiquement aucune limite à la durée d’emprisonnement d’une personne migrante. De plus, contrairement aux personnes accusées d’un crime, dont l’emprisonnement avant sentence est soumis à des règles très strictes (l’emprisonnement est l’exception), les personnes sans statut peuvent être détenues dans l’attente de leur procès pour des motifs très larges et manquant souvent de détails. Cette situation est d’autant plus aberrante puisque ces personnes sont détenues pour des raisons administratives plutôt que criminelles. À cet égard, dans un grand nombre de cas, l’Agence canadienne des services frontaliers justifie l’emprisonnement des migrants parce qu’elle estime que ceux-ci risquent de fuir.

Généralement, les détenus de l’immigration sont libérés en moyenne après 14 jours. Cependant, 241 personnes ont été détenues pendant plus de 99 jours et 34 personnes sont restées enfermées durant plus d’un an en 2020.

À ce titre, un ancien migrant détenu a rapporté aux journalistes avoir passé 5 ans et 7 mois derrière les barreaux et avoir subi 199 confinements en une seule année. Certains confinements ont duré plusieurs jours de suite « sans accès aux douches, à la cour, aux téléphones ou aux visiteurs ».

Pourtant, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Brown[ii], a rappelé que les autorités ne peuvent ordonner la détention des personnes migrantes que lorsqu’il existe une possibilité objective, réaliste et crédible de renvoi. « Le décideur doit être convaincu, au vu de la preuve, que le renvoi est possible ».

Sur un autre aspect, nous notons que plusieurs migrants sont plutôt enfermés dans des prisons aux côtés de criminels malgré l’existence de Centres de surveillance de l’immigration. D’ailleurs, certaines provinces ont déjà retiré leur support au gouvernement fédéral quant à l’usage de leur prison pour y enfermer les personnes migrantes.

L’ACAT Canada est préoccupée par le fait que certains migrants sont détenus administrativement pendant de longues périodes. De plus, le recours à l’isolement prolongé et le fait d’exposer ces derniers à des criminels pourraient être assimilés à un mauvais traitement au sens de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[iii] (ci-après CCT).

Battu par des gardiens de prison

Un détenu de la prison de Bordeaux a rapporté avoir vécu un évènement à en glacer le sang. Il indique avoir été dénudé, battu et aspergé de poivre de cayenne par des gardiens de prison alors qu’il était menotté dans une cellule d’isolement. Puis, laisser à lui-même, nu, en isolement sans possibilité de se doucher afin de laver le poivre qui lui brûlait les yeux pendant une longue période. De plus, avant de le menotter et de le traîner dans la cellule, ces gardiens auraient frappé sa tête sur le plancher et l’un d’entre eux aurait notamment appuyé son genou contre son cou[iv]. Il a d’ailleurs dû être hospitalisé à la suite de cet évènement.

Il s’est adressé anonymement aux journalistes et a indiqué ne pas avoir formulé officiellement de plainte puisqu’il craint des représailles de la part des autorités.

D’ailleurs, le nombre de plaintes au Protecteur du citoyen concernant l’utilisation de gaz poivré a considérablement augmenté en 2021. Ce dernier rapporte également que la décontamination des détenus après l’usage de ce type d’agent inflammatoire n’est pas toujours effectuée selon les règles[v].

Cet évènement traumatisant rapporté par ce prisonnier aux journalistes se rapproche dangereusement de la définition de la torture consacrée à l’article premier de la CCT et à l’article 269.1 du Code criminel canadien. Pour cette raison, l’ACAT encourage fortement les autorités à mieux former le personnel carcéral et à instaurer des mécanismes de surveillance afin d’assurer la conformité des pratiques des gardiens.

Détenu illégalement et mort en prison

Nicous D’Andre Spring semble être une autre victime du gaz poivré. Ce dernier est mort le 24 décembre dernier à la prison de Bordeaux à la suite d’une intervention où cette arme a été utilisée contre lui. Selon les informations recueillies, il est probable que les autorités lui aient enfilé un masque anti-crachat avant de l’asperger de poivre. Comble de malheurs, ce dernier devait être libéré le jour avant son décès en raison de ce qui semble être un manque d’effectifs[vi]. Un gestionnaire a d’ailleurs déjà été relevé de ses fonctions à cause de cette négligence.

Selon la sœur de M. Spring, ce dernier aurait plutôt dû obtenir du soutien en santé mentale plutôt que de purger une peine en prison et d’être traité comme « un animal enragé »[vii].

Très peu d’information est disponible jusqu’à maintenant concernant cette intervention. L’ACAT Canada va suivre cette situation de près et est rassurée par le fait que les autorités ont déclenché trois enquêtes[viii] afin d’éclaircir les circonstances entourant le décès de M. Spring.

Le décès de M. Spring soulève plusieurs enjeux concernant le fonctionnement des établissements carcéraux.

D’abord, le respect des ordonnances judiciaires et de la liberté des personnes. Cette liberté est un pilier de notre démocratie et les normes les plus élevées doivent être appliquées afin d’éviter qu’une personne en soit privée illégalement.

À cet égard, le ministère de la Sécurité publique a publié des chiffres préoccupants, lesquels nous apprennent qu’une moyenne de 72 personnes a été détenue illégalement entre 2017 et 2022[ix].

Ensuite, l’usage du gaz poivré ne semble pas suffisamment encadré. Des spécialistes en matière d’intervention policière indiquent que le masque anti-crachat et le gaz poivré sont des outils d’intervention adaptés pour des situations distinctes. Ces outils ne sont pas faits pour être utilisés ensemble.

Enfin, les prisons ne sont pas des milieux adéquats pour accueillir des personnes atteintes de troubles de santé mentale. Le personnel carcéral ne dispose pas des outils, de la formation, ni de lieux d’intervention adéquats afin de pouvoir traiter ce type de détenus. À défaut de réformer le système pénal, des établissements spécialisés devraient être mis en place pour y recevoir ce type de détenus.

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[i] Je vous invite à consulter cette page de notre site web laquelle répertorie tous les articles et appels à l’action ayant traités du sujet de l’incarcération : https://acatcanada.ca/tag/incarceration/

[ii] Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CAF 130 (CanlII).

[iii] Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CCT), entrée en vigueur le 26 juin 1987, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1465, p. 85, article 16.

[iv] DUSSAULT, Lila, « Je ne veux pas mourir à Bordeaux », La Presse, 30 janvier 2023, en ligne : https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2023-01-30/je-ne-veux-pas-mourir-a-bordeaux.php

[v] PROTECTEUR DU CITOYEN, Rapport annuel 2021-2022 — Les défis posés par la pandémie et la pénurie de personnel ne peuvent compromettre les droits des personnes incarcérées, 1er décembre 2022, en ligne : https://protecteurducitoyen.qc.ca/fr/nouvelles/communiques/rapport-annuel-2021-2022-defis-pandemie-penurie-personnel-droits-personnes-incarcerees

[vi] RENAUD, Daniel & LAROUCHE, Vincent, « L’ordre de libération tombé entre deux chaises », La Presse, 24 janvier 2023, en ligne : https://plus.lapresse.ca/screens/73cdd596-275c-45cb-bb16-3ba8c21084c3%7C_0.html

[vii] RADIO-CANADA, « La famille du détenu mort à Bordeaux veut une enquête sur le racisme en milieu carcéral », 5 janvier 2023, en ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1946272/famille-spring-nicous-enquete-racisme-systeme-carceral

[viii] Une par la Sureté du Québec, une par le Bureau du coroner et une, administrative, par le ministère de la Sécurité publique.

[ix] DUSSAULT, Lila, « Je ne veux pas mourir à Bordeaux », La Presse, 30 janvier 2023, en ligne : https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2023-01-30/je-ne-veux-pas-mourir-a-bordeaux.php