Article de Danny Latour

La torture est un sujet qui fait grandement controverse entre les différents acteurs internationaux. En effet, si pour certains la moindre souffrance est un motif pour qualifier un acte de torture, d’autres nécessiteront un degré bien précis et souvent élevé de souffrance. Cette controverse qui, pour certains, peut sembler ridicule et même immorale, soulève un problème bien précis en droit: il n’existe pas de degré de douleur précis pour constater l’existence d’un acte de torture.
Cette brèche a d’ailleurs permis au gouvernement américain de justifier certaines pratiques douteuses de ses propres forces de sécurité en alléguant qu’elles ne pouvaient être accusées de torture puisqu’il n’existait pas de définition précise à cet effet dans le droit international. L’administration américaine de l’époque avait d’ailleurs produit un avis juridique afin de répondre aux inquiétudes des autorités soulevées quant à l’application de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cet avis juridique proposait une interprétation tellement permissive qu’elle offrait presque carte blanche à ses agents. Pour le gouvernement de l’époque, pour répondre au critère physique de la torture la souffrance devait être «équivalente en intensité à la douleur accompagnant des blessures physiques sérieuses, telles que la défaillance d’un organe, l’altération d’une fonction du corps ou la mort» [1] et pour répondre au critère psychologique la souffrance nécessaire devait être «significative […et] d’une durée significative, par exemple, des mois ou années» [2].  Si cet avis juridique a le bénéfice de souligner l’imprécision juridique entourant la torture, il reste néanmoins très controversé et il n’est pas certain qu’il serait retenu devant un tribunal international.
Si toutes les opinions du Département de la justice américaine, concernant la torture, rédigées lors de la période Bush furent complètement rejetées en 2009, la problématique demeure toujours et il y a peu d’espoir de colmater cette fissure tellement l’opinion internationale est divisée. En effet, il existe une certaine appréhension des acteurs internationaux à aller jusqu’à établir un degré de souffrance précis pour déterminer l’existence de torture. Pour les défenseurs de la torture ou des pratiques d’interrogatoires forcés, une définition précise limiterait leurs moyens, tandis que pour les détracteurs, elle serait trop difficile à cerner et limiterait considérablement la progression de son interprétation en la rendant imperméable au temps et à l’évolution des mœurs. Devant une telle impasse, les experts en droit se tournent naturellement vers la jurisprudence des tribunaux pour colmater cette brèche. Toutefois, cette dernière demeure insuffisante, ce qui souligne que trop peu de procès concernant la torture ont été entrepris devant les tribunaux internationaux.
En conclusion, bien que l’absence de seuil permet à certains de justifier leurs actes, il n’est pas certain que cela leur permettrait d’éviter d’être poursuivis, ni même d’être condamnés pour torture. De plus, si l’indécision des acteurs internationaux suscite l’ire de certains, il demeure impossible d’estimer les bénéfices d’une définition précise. Cela soulève aussi plusieurs questions d’ordre philosophique, est-ce qu’une définition précise diminuerait réellement la fréquence de la torture? Si certains dirigeants semblent prioriser la fin avant les moyens, pourquoi se donner la peine de justifier la légalité des moyens entrepris?

Bibliographie

U.S. Department of Justice. 2002. Memorandum for Alberto R. Gonzales – Counsel to the President , Office of the assistant Athorney General, 50p. http://www.justice.gov/sites/default/files/olc/legacy/2010/08/05/memo-gonzales-aug2002.pdf [1] [2]
Organisation des Nations unies. 1987. Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT), Recueil des Traités, vol. 1465.