Cas étudié par Laïla Faivre

En avril 2016, le Maroc a expulsé des juristes européens venant en aide aux détenus de Gdeim Izik, lesquels avaient été condamnés suite à des aveux obtenus sous la torture.

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En février 2013, Naama Asfari et ses coaccusés ont été condamnés devant le tribunal militaire de Rabat pour leur participation présumée à la construction du camp de protestation sahraoui de Gdeim Izik en novembre 2010. Naama Asfari a été condamné à 30 ans d’emprisonnement pour meurtre alors même qu’il a été arrêté la veille du démantèlement. Après avoir été torturé, battu, humilié, pendant sa garde à vue en 2010, il signe finalement des aveux sous la contrainte. Avec lui, 24 autres militants sahraouis ont subi un sort similaire. En effet, neuf des accusés ont été condamnés à la perpétuité, quatre à 30 ans d’emprisonnement, sept autres à 25 ans, trois à 20 ans et les deux derniers, condamnés à deux ans d’emprisonnement, ont été libérés, car ils avaient déjà effectué leur peine en détention préventive.
Ce verdict prononcé à l’issue de neuf jours de procès est très vite dénoncé par plusieurs observateurs internationaux présents, comme inéquitable et entaché par la prise en compte d’aveux arrachés sous la torture. Parmi les nombreuses irrégularités désignées, on y retrouve le fait que les accusés ont été poursuivis devant un tribunal militaire malgré leur qualité de civil. Les juges ont refusé de tenir compte des allégations de torture formulées par les accusés et de satisfaire à leur demande d’expertise médicale, agissant de ce fait en violation manifeste du droit marocain et du droit international. De plus, aucune preuve n’a été présentée prouvant la certitude de l’implication des accusés dans le meurtre des agents de sécurité.
En réaction à cette affaire, un collectif de juriste s’est rendu au Maroc le 6 avril dernier, pour  prendre part à une conférence de presse en soutien aux détenus de Gdeim Izik « en grève de la faim depuis le 1er mars afin de protester contre les tortures infligées par l’appareil sécuritaire marocain », alors que les autorités marocaines affirment de leur part que cette grève est simulée [1].
Ce collectif de sept juristes européens et leur accompagnatrice ont été arrêtés avant d’être expulsés du territoire par la police marocaine. Parmi ces juristes figurent Me Ingrid Metton, avocate française, Eric David, professeur de droit international belge, Jesus Maria Martin Morillo, magistrat espagnol ainsi que Me Maria Nieves Cubas Armas, Me Juan Carlos Gomez Justo, Me Altamira Guelbenzu Gonzalo et Francisco Serrano Ramirez, avocats espagnols, et Joëlle Toutain, leur accompagnatrice. La police marocaine justifie l’arrestation et l’expulsion du collectif de juriste sur le prétexte que les membres du collectif seraient « entrés au Maroc pour semer le trouble et porter atteinte à l’ordre public » [2].
Si le Barreau de Paris a vivement condamné l’arrestation et l’expulsion des juristes, de leur côté les autorités françaises ont assuré la protection consulaire de leurs ressortissants, mais n’ont pas protesté auprès de leurs homologues marocains contrairement au ministre des Affaires étrangères espagnol qui a convoqué l’ambassadeur du Maroc pour obtenir des explications.
Dans une déclaration à l’agence Reuters, l’avocat Joseph Breham (membre du collectif de juriste et avocat à Paris) soutient que si « les autorités marocaines considèrent que le strict exercice des droits de la défense constitue une atteinte à l’ordre public, cela signe la dérive sécuritaire du Royaume du Maroc » [3].

Le contexte

Pour comprendre l’enjeu réel de ce cas, il faut dire quelques mots sur le conflit du Sahara occidental, territoire situé entre le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie, qui oppose cette ancienne colonie espagnole au Maroc depuis que le Front Polisario l’a déclarée indépendante en 1976 sous le nom de République arabe sahraouie démocratique (RASD), avec le soutien de l’Algérie. Les forces marocaines et algériennes s’y affrontèrent entre fin 1975 et 1976, faisant des dizaines de milliers de réfugiés en Algérie. La partition du territoire – une partie revenant au Maroc et l’autre devenant une république sahraouie – et, enfin, le retrait total de la mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO) sont les questions cruciales actuelles. La véritable crainte réside dans le fait que les parties au conflit n’arrivant pas à se mettre d’accord sur une solution commune, la décision choisie par l’ONU soit rejetée par l’une ou l’autre partie. Crainte parce qu’une telle attitude ne met pas à l’abri d’une reprise des armes [4].

Le droit international

Cette affaire contraste pourtant avec les nombreux engagements internationaux du royaume chérifien. En effet le Maroc a ratifié la Convention contre la torture en 1993 et a reconnu la compétence du Comité contre la torture pour connaître des plaintes individuelles en 2006. À son article 12, la convention oblige notamment les États membres à déclencher « une enquête impartiale chaque fois qu’il y a motif raisonnable de croire qu’il y a eu un acte de torture ». Le Maroc est également membre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dont l’article 7 interdit strictement les actes de tortures [5].
Les tortures, la détention arbitraire et la condamnation des détenus de Gdeim Izik ont été dénoncées par le Comité contre la torture [6], le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture [7] et le Groupe de travail sur la détention arbitraire [8].
Dans un tel contexte, l’ACAT Canada vous propose d’interpeller les autorités marocaines, afin que ces dernières assurent une mise en œuvre de la Convention contre la torture.

Sources

ACAT Canada. 2016. Maroc : quand un État va trop loin. http://acatcanada.org/2016/03/31/maroc-quand-un-etat-va-trop-loin/ [5]
ACAT France. 2011. Maroc et Sahara occidental. Dans Un monde tortionnaire. https://www.acatfrance.fr/un-monde-tortionnaire/maroc [4]
ACAT France. 2016. Expulsion d’une délégation de juristes. https://www.acatfrance.fr/actualite/expulsion-dune-delegation-de-juristes [2]
Bladi.net. 2016. Huit juristes européens expulsés du Maroc. http://www.bladi.net/juristes-europeens-expulsion-maroc,44923.html [1]
Comité contre la torture. 2011. Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 19 de la Convention. Observations finales du Comité contre la torture : Maroc. Quarante-septième session 31 octobre – 25 novembre 2011. CAT/C/MAR/CO/4. http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CAT%2FC%2FMAR%2FCO%2F4&Lang=en [6]
Conseil des droits de l’homme. 2013. Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Juan E. Méndez. Additif : Mission au Maroc. Vingt-deuxième session, Point 3 de l’ordre du jour : Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement, 28 février 2013. A/HRC/22/53/Add.2. http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session22/A-HRC-22-53-Add-2_fr.pdf   [7]
Conseil des droits de l’homme. 2014. Rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire. Additif : Mission au Maroc. Vingt-septième session, Point 3 de l’ordre du jour : Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement, 4 août 2014. A/HRC/27/48/Add.5. https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G14/100/01/PDF/G1410001.pdf?OpenElement [8]
Voaafrique. 2016. Expulsion du Maroc de juristes européens soutenant des prisonniers sahraouis. http://www.voaafrique.com/a/expulsion-maroc-juristes-europeens-soutenant-prisonniers-sahraouis/3274330.html [3]