Qualifiés de communistes par le gouvernement philippin, les défenseurs des droits humains, juristes, syndiqués ou encore dirigeants autochtones qui s’opposent à la dictature sont entravés dans l’exercice de leurs fonctions. Campagnes d’intimidations, menaces, représailles, arrestations arbitraires, fouilles illégales, exécutions extrajudiciaires font partie du quotidien de ces femmes et de ces hommes qui combattent les politiques liberticides et dictatoriales du gouvernement.


Vous pouvez agir

Lettre d’action :


Trois cent soixante-seize, c’est le nombre de défenseurs de droits humains tués depuis 2015 aux Philippines [1]. À cela s’ajoutent 488 cas de tentatives d’assassinats [2]. Aujourd’hui, ces chiffres ne cessent d’augmenter. Depuis le début de l’année 2021, Human Rights Defenders Memorial rapporte déjà 40 cas d’exécutions extrajudiciaires [3].

C’est ce qui est arrivé par exemple à Emmanuel « Manny » Asuncion, leader syndical. Alors qu’il manifestait pour le respect des droits sociaux et économiques le 7 mars 2021, Manny a été assassiné par la police de Calabarzon au Centre d’assistance aux travailleurs de Dasmariñas. Ce jour-là, qualifié comme « l’une des journées les plus sanglantes dans l’histoire récente pour les militants » [4], c’est neuf vies qui se sont éteintes en luttant pour la démocratie.

La chasse aux militants des droits humains s’inscrit aussi dans les campagnes d’arrestations massives. À titre d’illustration, le 2 mai 2021, Dan Balucio, défenseur des droits humains et pasteur de l’Église unie du Christ des Philippines, est arrêté chez lui dans les locaux de la Shannan Christian Academy. En vertu de fausses informations et sans fondement, Dan Balucio est toujours détenu au poste de police de Sto Domingo [5].

Depuis l’élection présidentielle de Rodrigo Duterte en 2016, la situation des droits humains s’est considérablement détériorée. Dès son entrée en fonction, le président a pris l’engagement de mener une guerre impitoyable pour mettre fin au trafic de drogue. La campagne est particulièrement meurtrière, comme en atteste le bilan de 27 000 victimes d’exécutions extrajudiciaires par des policiers ou des milices armées [6]. En outre, la Commission des droits de l’homme fournit le chiffre effrayant de 73 enfants tués [7]. Cette campagne met au grand jour la violation des garanties fondamentales en matière de justice aux Philippines. En effet, les fouilles réalisées au domicile et les arrestations sont en majorité effectuées sans la moindre présentation d’un mandat d’arrêt ou de perquisition [8]. Entre le 1e juillet 2016 et le 30 novembre 2017, sur les 42 286 arrestations menées, seules 507 (soit 1,2 %) avaient été ordonnées sur la base d’un mandat d’arrêt [9]. De plus, les 223 780 personnes détenues n’ont souvent pas connaissance des chefs d’accusation qui leur sont reprochés et elles sont placées en détention provisoire pour une durée indéterminée [10]. Comme le souligne la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, les irrégularités et le manque d’informations claires et précises laissent supposer un grand nombre de cas de détention arbitraire [11].

Malgré un examen préliminaire par la Cour pénale internationale depuis juillet 2018 sur les crimes contre l’humanité commis durant l’opération antidrogue, la violence s’est généralisée aux Philippines [12]. L’adoption d’une loi antiterroriste en juillet 2020 a répandu un climat de terreur dans tout le pays [13]. Comme lors des opérations antidrogue, les policiers sont désormais encouragés à tuer tous les dissidents politiques. De manière similaire à la campagne antidrogue, les défenseurs arrêtés sont emmenés dans des postes de police où le Comité contre la torture s’inquiète des nombreux actes de torture visant à extorquer des aveux ou des informations aux fins de l’action pénale [14]. Dans les prisons, défenseurs des droits et consommateurs de drogues cohabitent dans l’attente d’informations sur leur jugement. Le nombre de détentions provisoires est tel qu’il représente de 85 à 90 % des détenus [15]. Aujourd’hui, en raison de la répression massive et d’une administration lente de la justice, le taux d’occupation des prisons s’élève à 534 % [16]. Aux Philippines, les conditions de vie en prison sont loin de respecter les normes internationales. À ce propos, le Comité contre la torture affirme être « préoccupé par le fait que des informations continuent de faire état d’un recours généralisé à la torture et aux mauvais traitements à l’encontre de suspects par les membres des forces de l’ordre et de sécurité, le personnel pénitentiaire et le personnel militaire » [17].

Dans un dernier rapport sur les Philippines, en juin 2020, la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a dénoncé la violence et l’atteinte systématique aux droits humains, et elle recommande à l’État philippin de mettre un terme à cette escalade [18]. La société civile s’est aussi mobilisée, comme en témoigne le second rapport de la Commission internationale indépendante d’enquête sur les violations des droits de l’homme aux Philippines (Investigate PH) en juillet 2021 [19]. Ce rapport invite la communauté internationale à prendre toutes les mesures qui s’imposent à l’encontre du gouvernement Duterte pour mettre fin à l’impunité.

Le Canada, qui entretient de bonnes relations avec les Philippines, ne s’est pas prononcé sur le contexte alarmant dans ce pays. Il s’est néanmoins inquiété de la situation des droits de la personne au Bélarus et n’a pas hésité à faire des recommandations à ce sujet [20]. Comme le Parlement européen a pu le faire dans une résolution d’avril 2018 [21], il est temps que le Canada prenne lui aussi position sur l’effondrement de la démocratie aux Philippines.

Dans le sillage de KAIROS – large réseau d’organismes canadiens –, qui a invité ses membres à interpeller le gouvernement canadien pour mettre fin aux assassinats commandités par l’État et aux violations des droits humains aux Philippines [22], nous vous proposons d’envoyer une lettre au ministre des Affaires étrangères. Vous pouvez l’inciter à étudier la possibilité de faire des recommandations à l’égard du gouvernement philippin afin que celui-ci prenne des mesures immédiates pour:

  • empêcher toutes les tortures et tous les actes et châtiments cruels, inhumains et dégradants;
  • permettre aux défenseurs des droits humains de travailler sans craindre d’être détenus ou de subir des restrictions excessives;
  • éviter la réintroduction de la peine capitale.

Sources

ACAT France. 2021. Rapport Un monde tortionnaire. www.acatfrance.fr/public/unmondetortionnaire-acatfrance2021_web.pdf [6]

Affaires étrangères. Gouvernement du Canada. 2021. Recommandations du Canada à l’égard du Bélarus. www.international.gc.ca/world-monde/issues_development-enjeux_developpement/human_rights-droits_homme/upr-epu/belarus.aspx?lang=fra [20]

Amnesty International. 2021. Rodrigo Duterte ne peut pas stopper l’enquête de la CPI sur la « guerre contre la drogue » meurtrière. www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/07/duterte-cannot-halt-investigation-into-war-on-drugs/ [12]

Bolledo, Jairo, et Rambo Talabong. 2021. Leaders lost: The 9 activists killed by Duterte gov’t on “Bloody Sunday”. Rappler. www.rappler.com/newsbreak/iq/names-activists-killed-by-duterte-government-bloody-sunday-march-7-2021 [4]

Comité contre la torture. 2016. Observations finales concernant le troisième rapport périodique des Philippines. tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CAT/C/PHL/CO/3&Lang=Fr [14] [15]

Fédération internationale des droits humains. 2018. Philippines : le Parlement européen condamne les exécutions sommaires et exige une cessation immédiate. www.fidh.org/fr/plaidoyer-international/union-europeenne/philippines-le-parlement-europeen-condamne-les-executions-sommaires [21]

Frontline Defenders. 2021. Deux défenseur-ses des droits humains arrêtés lors de raids coordonnés par la police et l’armée. www.frontlinedefenders.org/fr/case/two-human-rights-defenders-arrested-coordinated-raids-police-and-military [5]

Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. 2020. Rapport sur la situation des droits de l’homme aux Philippines. undocs.org/fr/A/HRC/44/22 [7] [8] [9] [10] [11] [18]

Investigate PH. 2021. Deuxième rapport de la Commission internationale indépendante d’enquête sur les violations des droits de l’homme aux Philippines. drive.google.com/file/d/1I6g6ezsVeXRpgYVPg0Ist34kFyFiBfms/view [19]

Karapatan. 2021. Epidemic of State terror and people’s resistance. www.karapatan.org/2020-karapatan-year-end-report [1] [2]

Karapatan. 2021. Solidarity Statement: Stop the killings of human rights defenders in the Philippines. www.karapatan.org/solidarity+statement+stop+the+killings+of+human+rights+defenders+in+the+philippines [3]

Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels. 2021. Recent killings and arrests of HRDs in the Philippines. www.escr-net.org/sites/default/files/attachments/re_recent_killings_and_arrests_of_hrds_in_the_philippines_fr.pdf [13]