Emprisonné depuis 2012 pour avoir critiqué l’autoritarisme religieux par l’entremise de son blogue : Free Saudi Liberals, Raïf Badawi a été condamné à une lourde peine de 10 ans de prison et 1000 coups de fouet pour avoir insulté l’Islam. À l’instar d’autres organismes, l’ACAT Canada dénonce les coups de fouet comme une violation sérieuse de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT), convention ratifiée par l’Arabie Saoudite en 1997.

Vous pouvez agir : Appel à l’action

Le 17 juin 2012, Raïf Badawi est arrêté pour avoir critiqué l’Islam par des moyens électroniques. Les charges qui pèsent contre lui sont nombreuses : avoir porté atteinte à la sécurité nationale par l’entremise d’un site web, avoir ridiculisé les autorités religieuses et transgressé les valeurs de l’Islam, ainsi que d’avoir propagé la pensée libérale. En mai 2014, le verdict est rendu : une amende d’un million de riyals (environ 267 000 $ CAN), 1000 coups de fouet et 10 ans de prison pour avoir insulté  l’Islam.  Les  50  premiers  coups  de  fouet  furent  exécutés  sur  la  place publique, devant la mosquée de Jeddah le  9  janvier 2015. Suite à un suivi médical, on affirme que Raïf Badawi ne pourrait survivre à un tel supplice et depuis, l’exécution de la sentence est suspendue. En juin 2015, la cause portée à la Cour suprême d’Arabie Saoudite pour une révision fut entendue, mais la sentence fut maintenue. La communauté internationale a accueilli avec joie la nouvelle du Parlement européen qui a attribué le prix Sakharov à Raïf Badawi le 29 octobre dernier. Mais rien n’est gagné, car comme l’association canadienne Avocats sans frontières (ASFC) le démontre dans un mémoire publié le 3 novembre 2015, l’Arabie Saoudite a violé ses obligations nationales et internationales ainsi que les droits de Raïf Badawi « dans trois domaines en particulier : le droit à un procès équitable, le droit à la liberté d’expression et d’opinion et l’interdiction absolue de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants » [1].
L’ACAT Canada invite ses membres à agir pour encourager l’Arabie Saoudite à respecter ses engagements internationaux relatifs à l’interdiction de la torture. En effet, la sentence  attribuée  et  son  exécution  partielle  par  les  forces  de  l’ordre  constituent  des violations  sérieuses de la Convention  contre la torture et autres peines ou traitements  cruels, inhumains ou dégradants (CAT), ratifiée par l’Arabie Saoudite en 1997. Le processus judiciaire ayant explicitement condamné Raïf Badawi à subir 1000 coups de fouet et prescrit l’exécution de 50 d’entre eux par les autorités publiques sont des manquements graves et non équivoques à la CAT et plus précisément aux articles 2, 4, 5 et 13. La gravité de ces traitements est d’autant plus préoccupante que la sanction en question constitue clairement un acte de torture tel que défini par l’article 1 de la Convention. L’Arabie Saoudite se doit de cultiver une attitude qui accorde de la considération aux droits de la personne. Même si l’administration rituelle des coups de fouet a été suspendue grâce à un avis médical, son épouse exprime de fortes inquiétudes sur la possible reprise des coups de fouet.

Prisonnier de conscience

Raïf Badawi est écrivain et activiste, fervent défenseur des droits et libertés fondamentales. Il n’est cependant qu’une des nombreuses victimes de l’autoritarisme religieux systémique dans ce pays. Avant son arrestation, ce grand humaniste s’est impliqué dans plusieurs causes en Arabie Saoudite. Ses récents combats sont dédiés au respect des croyances et pratiques des minorités religieuses, à la liberté d’expression et d’association et aux dangers du radicalisme religieux. Son site web, fermé depuis son arrestation en 2012, se voulait un lieu d’échange pacifique sur le rôle de la religion en Arabie Saoudite. Sa femme, Ensaf Haidar, et ses trois enfants ont obtenu l’asile politique au Québec et vivent à Sherbrooke depuis 2013. Inlassablement, Mme Haidar, en collaboration avec des organisations d’Amérique et d’Europe, fait campagne pour libérer son mari. La pression internationale, l’acharnement des organismes de défense des droits de la personne et la persévérance des citoyens ont joué un rôle indéniable dans la suspension de la sentence et l’arrêt des sévices envers Raïf Badawi.

Des engagements restant lettre morte

Malgré la ratification par l’Arabie Saoudite de traités et de conventions protégeant les droits et libertés fondamentales, l’article 26 de sa propre Constitution en empêche tout effet. Cette disposition législative déclare que l’État se doit de protéger les droits de la personne en cohérence avec la loi islamique dérivant de la Sharia qui est un ensemble de normes inspirées des textes sacrés de l’Islam et comportant des aspects juridiques. À cet effet, l’application de la loi islamique suppose une interprétation très large et arbitraire par les autorités publiques. Suite au rapport de 2002 du Comité contre la torture, le porte-parole du gouvernement affirma que les sanctions corporelles ne peuvent être amendées ou abrogées puisqu’elles découlent de la Sharia et qu’elles émanent donc de Dieu [2]. De ce fait, cette disposition constitutionnelle entre en conflit évident avec l’objet même de la CAT, soit l’interdiction de la torture pour quelque motif que ce soit. Elle ne peut servir de base solide et stable au respect par l’Arabie Saoudite de ses engagements internationaux. De plus, l’Arabie Saoudite a ratifié la Convention de Vienne sur le droit des traités qui prévoit à son article 27, « [qu’]une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité » [3]. Ainsi, l’Arabie Saoudite contrevient à deux engagements internationaux, ce qui contribue encore plus à sa perte de crédibilité et de fiabilité auprès des autres acteurs internationaux.
Par ailleurs, l’Arabie Saoudite restreint sévèrement toute liberté d’expression, d’association et de croyance critiquant, même pacifiquement, le régime. Les défenseurs des droits humains, et leurs proches, sont constamment harcelés, menacés et même exécutés par les forces de l’ordre. Ils contestent courageusement le traitement inégalitaire des femmes, la violation régulière des droits fondamentaux et la répression des minorités religieuses et culturelles. Toutefois, les juges et les procureurs arrêtent, détiennent et condamnent ces militants à des peines sans procès équitable, sans accès à un avocat, sans toujours informer l’accusé du crime qu’il a commis, et ce, en raison d’une application arbitraire et autoritaire de la Sharia. Avec des charges comme «briser l’allégeance avec le dirigeant» ou «atteinte à la réputation du Royaume», le système judiciaire saoudien interprète comme bon lui semble sa loi et les activistes pacifiques en paient le prix. Les nouvelles législations adoptées contre le terrorisme facilitent encore une fois l’amalgame vicieux entre une critique pacifique du gouvernement et une activité terroriste.
L’Arabie Saoudite ne fait que perpétuer une attitude n’accordant aucune considération aux droits de la personne les plus fondamentaux. La violation institutionnalisée de l’intégrité physique et mentale de citoyens innocents ne peut faire partie du 21e siècle. Malgré les quelques accommodements dont s’est prévalu le régime, cela est loin d’être suffisant pour endiguer la torture. Le système autoritaire et belliqueux de l’Arabie Saoudite repose sur la crainte de sa population et n’a plus lieu d’être dans le monde d’aujourd’hui.

Sources

Avocats sans frontières. COMMUNIQUÉ DE PRESSE : Dévoilement du mémoire d’ASFC en faveur de la libération de Raïf Badawi, 3 novembre 2015. En ligne : http://www.asfcanada.ca/fr/nouvelles/devoilement-du-memoire-d-asfc-en-faveur-de-la-liberation-de-Raïf-badawi-472 [1]
Avocats sans frontières. Mémoire en faveur de la libération de Raïf Badawi, 30 octobre 2015. En ligne : http://www.asfcanada.ca/documents/file/cp-publication-memoire-Raïf-badawi-finalfrancais-2015-11-03.pdf
Comité contre la torture. Summary Record of the first part of the 519th meeting, CAT/C/SR.519, 28e session, Genève, 17 mai 2002. En ligne : http://docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2FPPRiCAqhKb7yhsmoIqL9rS46HZROnmdQS5bP4gSEinese9WBixVfeXJ1Xv714%2FCaI07PzslnA8XCAx8%2FSDhAWWQYWubFgKKZURa3%2FEYdtvnaL6qyhi3YOTyxn [2]
Recueil des traités des Nations Unies (RTNU). Convention de Vienne sur le droit des traités, Doc. No. 18232, entrée en vigueur le 27 janvier 1980, pp.353-512. En ligne: https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%201155/volume-1155-I-18232-French.pdf [3]
OTTO, Jan Michel. Sharia Incorporated – A Comparative Overview of the Legal Systems of Twelve Muslim Countries in Past and Present, Leiden University Press, 2010, 676p. En ligne : https://openaccess.leidenuniv.nl/bitstream/handle/1887/21170/file221087.pdf?sequence=1


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