Les failles du système de santé ont été mises à nu… et le prix à payer est catastrophique. La pandémie a donné le coup de grâce à nos centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) qui peinaient déjà à fournir les services de santé de base que lui mandatait la loi. De nombreux patients sont décédés et plusieurs autres ont dû braver des conditions inhumaines et dégradantes mettant leur santé et leur vie en péril.

Lors des derniers mois, nous avons assisté à un bien triste dénouement : manque de matériel de protection, manque catastrophique de personnel, conditions de vie inhumaines des patients, incapacité à fournir les services d’hygiène et d’alimentation de base, incapacité à offrir les soins et besoins propres à chaque patient, taux d’infection effarant chez les patients et le personnel, taux d’absentéisme alarmant chez le personnel, pour n’en nommer que quelques-uns.

Déjà, en 2018, bien avant la pandémie, le Conseil pour la protection des malades (CPM) de la province de Québec, une coalition de défense des droits des patients, lançait un recours collectif fondé sur 22 exemples de ce qu’il prétendait être des conditions de vie « dégradantes » dans le réseau provincial des CHSLD [1].

La même année, l’ombudsman du Québec critiquait la gestion des CHSLD, soulignant que la réduction des services de base tels l’hygiène avait contribué au développement de plaies de lit au point où elles étaient devenues endémiques dans les établissements [2].

Afin d’illustrer la situation désastreuse qui régnait avant la pandémie, nous avons repris le cas de René Legault, un ancien résident du CHSLD Héron. Lui et sa famille ont détaillé son périple à des journalistes. Ils ont raconté que lorsqu’il est entré au CHSLD en juin 2019, le personnel prenait peu soin de lui. Il était cloîtré dans son fauteuil roulant et n’avait pas d’autre choix que de faire ses besoins dans sa couche alors qu’il aurait pu le faire lui-même avec un peu d’aide. Sa famille l’a fréquemment trouvé déshydraté et a été consternée de voir que les résidents du CHSLD étaient tellement affamés qu’ils en étaient rendus à manger les restes de table. Ses proches ont fait part de problèmes d’hygiène sidérants au point où ils ont trouvé M. Legault dans des draps souillés souffrant d’une infection urinaire tellement il était resté longtemps dans ses excréments. Ils racontent qu’une odeur putride d’urine imprégnait constamment les lieux. M. Legault était encore résident du CHSLD au début de la crise en février 2020 lorsque sa famille a décidé de le changer de milieu de vie. La crise avait frappé fort et le centre avait perdu plus de la moitié de son personnel selon la direction du CHSLD. La famille de M. Legault a d’ailleurs lancé une poursuite afin de dédommager et de rétablir l’honneur de M. Legault.

Lorsque l’état de pandémie a été déclaré par l’OMS le 11 mars 2020, le premier patient d’un CHSLD était déjà décédé et la situation dans les CHSLD commençait à devenir alarmante en raison de l’absence de mesures concrètes [3]. La situation s’est envenimée au point d’atteindre un taux d’infection de 100% dans certains établissements [4], ce qui a forcé le gouvernement fédéral à agir et déployer les Forces armées canadiennes en renfort pour prendre soin des résidents. Jusqu’à aujourd’hui, le nombre de morts continue à augmenter. Les rapports des militaires pour les provinces du Québec et de l’Ontario ont dévoilé des détails à glacer le sang. Voici une liste abrégée de problèmes et atrocités qui ont été répertoriés [5]: des infestations d’insectes jusque dans les lits ; des résidents sont restés dans leurs défécations pendant plusieurs heures ; une attitude agressive du personnel ; une contamination grossière des lieux par des matières fécales ; des résidents ont été attachés pendant des semaines à leur lit ; des patients ont été bougés de manière violente et inappropriée ; des patients ont été laissés dans un état de déshydratation.

Cette situation s’est produite en raison d’une combinaison de très nombreux facteurs et défectuosités qui prennent presque tous racine dans le manque de financement des CHSLD et la gestion des ressources humaines. Voici certains de ces facteurs [6]: absence de formation pour éviter la propagation des maladies infectieuses ; un faible ratio personnel par patient ; un taux d’absentéisme élevé ; l’absence de lois ou règlements visant à encadrer les soins de santé à prodiguer dans ces établissements ; une idéologie gouvernementale persistante prêchant l’autogouvernance des entreprises privées et leur bonne foi plutôt qu’une idéologie reconnaissant le fait que l’objectif principal d’une entreprise est le profit ; un personnel sous-payé ; absence d’aide psychologique pour le personnel des établissements.

D’une part, nous rappelons que le fondement même d’un État, sa première responsabilité, est d’assurer la protection de sa population. Ceci est d’autant plus vrai dans le cadre de situations catastrophiques. D’autre part, en tant qu’êtres humains, nous avons la responsabilité morale de nous assurer que tout un chacun soit traité de manière à ce que leur dignité soit respectée. Or, à la lumière des évènements récents et ceux des dernières années, il est clair que le gouvernement canadien n’a pas été à la hauteur. De se réfugier sous l’excuse de l’état d’urgence ou de la force majeure serait passer outre le fait que de nombreux États ont mieux réussi. Le succès de ces États ne relève pas de la chance. Ils ont mis en place des politiques de gestion axées sur les meilleures pratiques reconnues en matière sanitaire et épidémiologique. Cependant, force est de constater qu’il n’y a pas eu suffisamment d’effort pour assurer de saines conditions de vie dans les CHSLD et une formation adéquate du personnel, et pour réduire l’échange de personnel de santé entre les établissements. À eux seuls, ces deux éléments ont fortement contribué à propager le virus. À un certain point, même le personnel soignant a été gravement affecté, ce qui a eu pour effet de réduire les effectifs et la qualité des soins. Enfin, cette combinaison du virus et de la faible qualité de soins a engendré encore plus de décès et de détresse.

À la lumière de ce qui précède, il n’est pas surprenant que plusieurs aient taxé le gouvernement québécois de négligence [7] et d’avoir contribué aux traitements inhumains et dégradants des patients des CHSLD. Même si le secteur de la santé constitue une compétence provinciale, cette négligence a des conséquences tangibles pour le gouvernement fédéral, puisque l’État canadien est tenu à de nombreuses obligations.

À cet effet, nous rappelons que le Canada est partie à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants (CAT). L’article 16 prévoit l’obligation à l’État d’interdire les actes constitutifs de mauvais traitements par ses agents de la fonction publique. L’article 14 prévoit que l’État doit assurer l’indemnisation des victimes de mauvais traitements. Selon le rapporteur des Nations Unies sur la torture, la négligence en matière de prestation de soins de santé peut constituer un mauvais traitement au sens de la CAT [8]. Toujours selon le rapporteur, l’obligation de protection est d’autant plus importante lorsque les personnes font partie des groupes vulnérables de la société [9]. Or, en l’espèce, les patients des CHSLD étaient des personnes vulnérables sous la protection et les soins d’agents de la fonction publique canadienne ou d’organismes mandataires de l’État. De plus, il est indéniable que ces derniers ont subi des souffrances particulièrement aiguës et des atteintes scandaleuses à leur dignité que ce soit en raison de négligence ou par des actes délibérés de préposés. Ainsi, en raison de cette analyse, une certaine présomption pèse sur le Canada selon laquelle le traitement réservé aux patients des CHSLD constitue une forme de mauvais traitements au sens de cette convention (article 14). Ces manquements rendent le Canada susceptible à des poursuites par les autres États partie à la Convention pour ne pas avoir respecté ses obligations. De plus, des particuliers pourraient signaler ces faits en tant que victimes et l’organe de supervision de cette convention en prendra très certainement acte dans ses prochains examens du Canada.

Nous rappelons aussi que de nombreuses lois canadiennes (constitutionnelle, quasi constitutionnelles et générales) protègent la dignité, l’honneur et l’intégrité physique de ses justiciables. Néanmoins, il semble que gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux aussi ont failli à leurs responsabilités eu égard à ces lois, ce qui pourrait engendrer leur responsabilité dans des poursuites civiles afin de dédommager les nombreuses victimes.

Malgré la gravité des violations reprochées au Canada, l’aspect le plus choquant est probablement celui de la dimension humaine du problème. Un nombre incalculable de gens ont manqué à leur responsabilité la plus élémentaire, soit celle de protéger l’intégrité et la dignité de personnes éminemment vulnérables, et ce, pour des raisons financières.

Nous vous invitons à suivre les développements dans les journaux et vous tiendrons informés de la réponse du gouvernement à cet appel à l’action le cas échéant. Afin de diminuer les risques de contamination, nous vous rappelons l’importance des mesures d’hygiène de base, telles que porter un masque, se laver ou désinfecter les mains fréquemment et éviter de toucher la région du visage avec vos mains lors de vos sorties. Enfin, nous vous invitons à respecter les règles de distanciation sociale. Chaque petit geste compte pour protéger les personnes les plus vulnérables de notre société ; ensemble, nous surmonterons cette épreuve.

Appel à l’action préparé par Danny Latour, trésorier


Vous pouvez agir

Lettre d’action :


Sources

Assemblée générale des Nations Unies – Conseil des droits de l’homme. 2013. Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Juan E. Méndez A/HRC/22/53. par. 20, 23, 24. undocs.org/pdf?symbol=fr/A/HRC/22/53 [8] [9, par. 26]

Baillargeon, Stéphane. 2020-04-18. Des décennies de négligence dans les CHSLD. Le Devoir. www.ledevoir.com/societe/577269/l-ingratitude [7]

Bellerose, Patrick. 2020-05-27. Rapport de l’armée sur les CHSLD: l’équipement de protection mal utilisé. Journal de Québec. www.journaldequebec.com/2020/05/27/covid-19-quebec-devoile-le-rapport-de-larmee-sur-la-crise-en-chsld [5]

Declerq, Katherine. 2020-05-26. ‘Gut-wrenching’ military report sheds light on grim conditions in Ontario nursing homes. CTV News Toronto. toronto.ctvnews.ca/gut-wrenching-military-report-sheds-light-on-grim-conditions-in-ontario-nursing-homes-1.4954710 [5]

Gerbet, Thomas. 2020-05-15. Un CHSLD infecté à 100 %, avec un système de ventilation en panne, préoccupe Québec. Radio-Canada. ici.radio-canada.ca/nouvelle/1702760/covid-chsld-vigi-mont-royal-ministere-air-ventilation-virus [4]

Lachance, Nicolas. 2020-04-15. Pandémie: Québec sait que les CHSLD sont à risque depuis près de 15 ans. Journal de Québec. www.journaldequebec.com/2020/04/15/quebec-sait-que-les-chsld-sont-a-risque-depuis-pres-de-15-ans [3]

Larouche, Vincent. 2020-07-17. De la négligence dès 2019 au CHSLD Herron, allègue une poursuite. La Presse. www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2020-07-17/de-la-negligence-des-2019-au-chsld-herron-allegue-une-poursuite.php

Mercure, Philippe. 2020-07-03. Rapport sur la situation en CHSLD: «Un désastre tragique et évitable». La Presse. www.lapresse.ca/covid-19/2020-07-03/rapport-sur-la-situation-en-chsld-un-desastre-tragique-et-evitable.php [6]

Prévost, Hugo. 2020-05-27. CHSLD : zones chaudes, masques et pénurie de personnel dans le rapport de l’armée. Radio-Canada. ici.radio-canada.ca/nouvelle/1706652/forces-armees-canadiennes-chsld-operation-laser [5]

Radio-Canada. 2019-09-23. Recours collectif de 500 millions autorisé contre les CHSLD du Québec. ici.radio-canada.ca/nouvelle/1313390/recours-collectif-chsld-quebec-traitements-cour-superieure [1] [2] Trudel, Roxanne & Séguin, Félix. 2020-02-19. Ils ne meurent pas de la COVID-19, ils meurent de négligence. Le Journal de Montréal. www.journaldemontreal.com/2020/04/19/nouveau-cas-de-negligence-dans-une-residence-pour-aines-1 [7]